la diplomatie economique belge et l'exercice des compétences régionales (suite)
Parlement wallon - Lundi 19 avril 2010
QUESTION ORALE DE M. CRUCKE À M.DEMOTTE, MINISTRE-PRÉSIDENT DU GOUVERNEMENT WALLON, SUR « LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE BELGE ET L'EXERCICE DES COMPÉTENCES RÉGIONALES»
M. Crucke (MR).Suite à la dernière mission menée par le Premier Ministre,
Monsieur Yves Leterme, et son Ministre des Affaires Etrangères, Monsieur Steven Vanackere, en Asie, j'étais un peu surpris de voir que cette mission était exclusivement centrée sur ce qu'ils ont euxmêmes appelé la diplomatie économique, évoquant les vertus de cette diplomatie et des résultats qui pouvaient être engrangés.
Si j'ai un peu d'étonnement, c'est parce que jusqu'à preuve du contraire, c'est une compétence dévolue de la Région et exclusive de la Région. Le Premier Ministre, qui n'est sans doute pas dupe en la matière, précise dans une interview qu'il a écrit aux
Ministres-Présidents respectifs en les interpellant sur les attentes de manière à leur permettre d'exprimer leurs attentes par rapport à cette mission.
Quand cette lettre est-elle arrivée
? Quel était son contenu réel et quelle a été la réponse du Ministre-
Président en ce qui concerne notre Région wallonne ? Avez-vous, dans ce cadre, pu obtenir
toutes les garanties quant à l'exercice de compétences qui sont des compétences comme je
l'ai dit fédérées, mais pas seulement par rapport aux compétences de la Région, par rapport également à la représentation des entreprises ? A-t-on été associé à cette mission d'une quelconque manière ? L'AWEx a travaillé dans ce cadre là. Pas seulement dans le cadre de la préparation, mais aussi j'ai envie de dire dans le cadre de la présentation ou de la représentation des entreprises.
A-t-on pu obtenir de ce type de mission, des résultats qui seraient significatifs et si oui, lesquels ?
Êtes-vous prêt à ce que cette opération soit renouvelée comme cela d'initiative par le Fédéral et dans quelles conditions éventuellement ?
Enfin, cela dit, chat échaudé craint quand même l'eau froide. Je ne peux pas m'empêcher de constater que la diplomatie belge est largement aux mains de personnalités flamandes. C'est le résultat des négociations évidemment de cinq partis, mais c'est
un constat. Va-t-on donc continuer dans cette direction-là ? Si oui, quelles sont les garanties dont on peut disposer pour être certain que cette
réglementation ne reste pas moins flamande et cela veut-il dire que dorénavant, les diplomates à l'étranger, non seulement feront rapport au Ministre- Président du résultat du travail sur le plan de la diplomatie économique, mais en sus que les
Ministres-Présidents, ou en tout cas ceux qui ont la compétence, vont pouvoir donner un certain nombre d'ordres aux diplomates. J'avoue que je serais surpris. Mon expérience du Fédéral m'a souvent fait comprendre que les diplomates jalousaient de leurs
compétences fédérales et n'aimaient pas trop que les Régions s'infiltrent dans ce qu'ils considéraient comme leurs compétences, mais ils nous faisaientsouvent remarquer aussi que tout ce qui était économique était bien de la compétence des
Régions. Alors, a-t-on là affaire à une évolution institutionnelle qui serait peut-être pour certains, intéressantes encore que, je n'en reste pas moins extrêmement sceptique.
Monsieur le Ministre, ma question ne cherche pas à rouvrir un nouveau débat communautaire, mais je pense qu'il faut par contre mettre les points sur les
« i » en la matière pour éviter un certain nombre de dérapages.
J'imagine ce qu'on devrait entendre ou lire sous la plume flamande si aujourd'hui, le Premier Ministre était francophone et qu'il partait à l'étranger faire une mission à vocation économique aux compétences régionales.
Je peux réellement imaginer ce que l'on pourrait lire de l'autre côté de la frontière linguistique. M. le Président. La parole est à M. le Ministre- Président.
M. Demotte, Ministre-Président du Gouvernement wallon. Monsieur le Député, je pense effectivement qu'un débat sur la diplomatie économique n'est pas du tout secondaire et qu'il ouvre un champ de réflexion intéressant dans lequel je m'engouffre immédiatement.
Vous l'indiquez, j'ai reçu le 7 avril dernier pour être précis, un courrier du Premier Ministre.
En substance, Monsieur Leterme y annonce des déplacements à Washington du l2 au 14 avril
2010 et en République populaire de Chine du 30 avril au 3 mai 2010 et nous demande si nous
souhaitons son intervention dans certains dossiers relevant de la compétence des Régions. Voilà comment le sujet est amené.
En quelque sorte, il s'agit là d'une offre de services dans le cadre de ses propres déplacements pour aider les entreprises.
D'une manière générale, je pense que cette démarche est saine dès lors qu'elle reconnaît le fait que les contacts économiques et commerciaux relèvent bien des Régions. Je veux aussi lire dans l'attitude du Premier Ministre une volonté d'esprit de
partenariat.
Par ailleurs, ce type de déplacements ministériels s'inscrit dans le cadre global. On est dans un pays dans lequel chacun a ses domaines de compétences, mais où on a cela a d'ailleurs fait l'objet de plusieurs discussions dans cette commission ou dans
d'autres une logique de diplomatie intégrée. Ce qu'il nous faut faire, c'est de veiller à ce que les différents niveaux de pouvoirs, avec leurs compétences, ne donnent pas le sentiment à l'étranger d'agir en se tirant des balles dans le pied.
Il faut donc là qu'il y ait de la cohérence.
En ce qui concerne nos attitudes, je parle ici du Premier Ministre, on ne va pas comparer ce qui n'est pas comparable. Les structures institutionnelles sont très différentes. Par exemple, si on voulait ramener la France et la Belgique dans un schéma de
comparaison, le niveau de centralisme en France avec nos institutions à nous dans lesquelles nos entités ont, si je ne pense qu'aux pôles parlementaires, on vit dans des mondes différents.
Ce que l'on retiendra, c'est qu'on demande aux pays, même avec des entités fédérées, même lorsque les compétences économiques et régionales sont portées par des entités fédérées, à celui qui est le premier porte-étendard du pays de défendre l'ensemble des couleurs. Donc, là, il y a un souci d'équilibre.
On ne voudrait pas effectivement que le Premier Ministre flamand, francophone, bruxellois, même s'il est considéré a priori comme asexué linguistiquement ne donne le sentiment d'une orientation a priori favorable à l'un ou l'autre pôle régional au détriment des autres qu'il défendrait avec moins de conviction.
Là-dessus, nous sommes, vous et moi, encore une fois, sur la même longueur d'onde, mais
réfléchissons maintenant à la suite de la démarche du Premier-Ministre.
Il y a un contact qui a donc été pris entre mon Cabinet et celui du Premier Ministre sur la mission courte de Washington, il n'y a pas de problème, car il n'y a pas de volet économique.
Pour ce qui concerne maintenant l'autre déplacement prévu début mai en République
populaire de Chine et plus précisément à Shangaï et à Nankin, là, des contacts économiques sont envisagés. J'ai bien entendu des déclarations plus précises à ce sujet.
D'un autre côté, je réaffirme car il est quand même important de savoir comment on joue sur cet échiquier que la diplomatie économique est pour moi, un des pôles essentiels de notre représentation.
Tout ne se résume pas dans la diplomatie à la diplomatie économique, mais ô combien importante est la diplomatie dans le monde dans lequel nous vivons.
Là-dessus, un mot pour dire que M. le Ministre Marcourt et moi-même, nous nous rendrons
également en Chine, du 19 au 26 juin prochain.
Notre mission s'inscrit bien sûr et cela fait déjà l'objet de nombreuses discussions ici dans le cadre de l'Exposition universelle de Shanghai
mais on a décidé de ne pas faire cela exclusivement.
Donc, nous avons prévu un timing qui nous fait rentrer dans d'autres villes en Chine pendant cette semaine de déplacement avec des dossiers
économiques sous le bras.
C'est dans ce contexte particulier que nous allons demander au Premier-Ministre de préparer le terrain.
S'il peut effectivement tenir un discours clair et pour le faire, on ne va pas le faire sur base de simplesrecommandations. Ce que nous allons faire, c'est
avec l'administration et plus particulièrement, une agence qui fonctionne bien, je parle ici de l'AWEx, c'est veiller à ce que les attachés économiques, nos
structures donnent effectivement sur base de dossiers identifiés, un certain nombre d'éléments d'informations. Le cas échéant, si nous avons despoints particuliers, je vais demander au Premier-
Ministre, au nom de notre entité, d'associer activement ces représentants à ces entretiens. Ce qui nous donne aussi, sans parler ici d'oreilles au sens
d'entendre tout ce qu'il se dit, mais la faculté de réagir si nous entendons des choses qui ne nous étaient pas agréables.
Concernant la diplomatie économique, j'ai dit tout à l'heure ce que je pensais d'elle. Je ne vais pas être beaucoup plus long même si mon texte l'était
mais simplement, je souligne un aspect qui montre notre intérêt particulier. Vous savez que chaque année, nous organisons les journées diplomatiques.
Ce sont des moments où les diplomates viennent se ressourcer au pays, recevoir de l'information et je dois dire que j'avais une option qui était de parler du
contexte un peu compliqué sur le plan institutionnel.
Aujourd'hui, on se rend encore plus compte qu'il y a quelques semaines, quand j'étais face aux diplomates, j'ai choisi le thème de la diplomatie économique, car je trouve que c'est un thème qui nous profile car c'est une compétence que nous
tenons à bras-le-corps. Et dans le même temps, j'ai dit c'est presque prémonitoire à l'évolution à laquelle nous assistons aujourd'hui -, il faut que nous soyons d'accord sur un but qui est que nous avons là des organes de libéralisation économiques
extrêmement actifs et aigus sur le terrain, que le Fédéral soit aussi porteur de nos propres messages dans une logique d'équilibre.
On voit donc qu'il y a une évolution que je pressentais en quelque sorte, mais qui doit toujours rester bénéfique à notre entité. Nous ne pouvons pas
entrer dans une logique où on se délaisserait nos compétences, où on donnerait une charge de missions à autrui. Nous devons donc veiller à ce qu'il y ait là à la fois une partie active tenue par nos entités fédérées, qu'il y ait une aide qui puisse de
temps en temps être apportée par le Fédéral, et avoir la garantie que cela se passe dans une logique d'équilibre entre entités.
Là-dessus, attention, nous voulons effectivement prendre toutes les mesures possibles.
La répartition jusqu'à présent dans les rôles ne nous a pas été préjudiciable. Je voudrais que l'avenir nous garantisse la même chose. D'ailleurs quand on regarde les chiffres de nos exportations, on peut dire que depuis qu'on a défédéralisé la logique de soutien
à l'investissement et à l'exportation, nous avons
clairement progressé.
C'est donc que cette forme de diplomatie, que nous avons initiée aujourd'hui en Wallonie, mais au travers de Wallonie-Bruxelles International pour reprendre l'intitulé, nous a été favorable. Si nous pouvons regagner quelque chose parce qu'on continue à donner de l'impulsion en ce compris par l'aide du Fédéral -, tant mieux mais jusqu'à présent
et je le dis sans crier trop fort «cocorico », nous avons quand même de bons résultats qu'à l'époque où ces matières étaient gérées exclusivement par l'État national.
M. Crucke (MR).
Je pense comme vous que ce sujet de diplomatie économique, en dehors de l'importance qu'on peut lui reconnaître, est un sujet délicat, car il cumule deux choses : la représentation à l'extérieur du pays des entités fédérées et il est vrai qu'on a intérêt à ce que les choses soient les plus claires possible à l'extérieur et à ne pas complexifier plus qu'il ne faut les choses ; cela rendrait la mission purement économique virtuellement inapplicable ou en tout cas, on la réduirait dans son efficacité -, mais on ne peut pas non plus effacer la situation que l'on vit à l'intérieur de ce pays où on ne rate pas une occasion de nous rappeler que nous sommes une minorité. Bien souvent, il faut s'incliner et c'est effectivement un dossier dans lequel on peut marcher sur un certain nombre d' ufs. Le tout, c'est peut-être de ne pas écraser ce qui peut nous être profitable, tout en se disant qu'on doit bien marcher sur un certain nombre d' ufs. On n'y passera pas autrement.
Le Premier-Ministre vous écrit le 7 avril. Effectivement, mieux vaut qu'il vous écrive plutôt qu'il ne le fasse pas. C'est quand même, par rapport aux dates qui sont celles envisagées pour les missions. Une fois de plus, on est entre deux sentiments et c'est toujours ce parfum que l'on reconnaît à ce pays. C'est qu'on se dit :« on va quand même le faire parce que sinon, ça va être l'incident », mais on le fait à la dernière minute et comme cela, les plus aigris et les plus excités ne pourront pas dire qu'on l'a fait dans les formes.
Deuxièmement, défendre ensemble les couleurs. Vous avez raison. Moi, je vais vous rapporter un incident que j'ai connu au Fédéral avec un Ministre des Affaires étrangères flamand a qui je suggérais parce que souvent, les formes sont révélatrices du fond de faire en sorte que les délégations et les ambassades puissent se trouver dans des bâtiments
communs. Je me suis heurté à une réponse totalement négative, pas seulement du Ministre,
mais des Collègues néerlandophones qui n'imaginaient pas que des délégations wallonnes
soient présentes dans la diplomatie, car cette diplomatie belge a largement changé. Attention à cela car je connais votre côté généreux.
M. Demotte, Ministre-Président du Gouvernement wallon.
Je connaissais votre côté généreux et qu'à plus d'une reprise, c'est intelligent de poser la question comme ça, mais ne nous laissons pas non plus duper.
Vous avez demandé à ce que les délégués soient associés. C'est une bonne question. On jugera du résultat, on en reparlera après la mission, je ne veux pas anticiper non plus. Ça vaut quand même la peine d'avoir un débat ensuite sur cela. Sûrement un debriefing et une analyse approfondie de la manière dont cela se sera passé. Peut-être que ce pays est en
train de changer. Nous pourrions être surpris par les changements, je n'y crois plus personnellement et vous le savez ! Je ne veux pas non plus juger avant d'avoir pu lire le texte qui devra nous être soumis et surtout de pouvoir juger des résultats de ce type de mission.
Enfin, j'en termine là, j'ai toujours appris dans un mauvais néerlandophone qu'un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Ça me fait tellement sourire de voir
que maintenant ce genre de mécanisme se met en place, alors que la même personne à une autre fonction, celle de Ministre-Président il y a quelque temps, n'aurait jamais accepté cela ! Ce que nous avons et vous l'avez dit, ce sont des résultats remarquables de l'AWEx. C'est un travail remarquable fait par l'AWEx et il faut le souligner.
Tenez-le ! Soyez prudent par rapport à tout ce qu'on vous annonce dans ce qu'on aurait. On aura peutêtre un jour notre boulot réellement à faire en sorte que l'AWEX continue à être performante parce que ça, c'est un résultat qui doit être direct pour les
entreprises et forcément aussi pour les citoyens de cette Wallonie.