Débat sur l'énergie éolienne, Séance plénière mercredi 06 avril
Intervention de M. Jean-Luc Crucke :
Je lisais dans la presse de ce matin, comme on pourrait le lire quasiment tous les jours, que le dossier de l'éolienne de l'E40 a significativement régressé. Le ministre annule le refus de permis. Le 25 novembre dernier, les fonctionnaires délégué et technique de la Région wallonne en Province de Liège refusaient le permis unique demandé par la SCRL Greensky pour l'implantation de 13 éoliennes le long de l'E40. Un mois plus tard, la société a déposé un recours auprès du Ministre Philippe Henry en charge de l'aménagement du territoire. Ce dernier vient de décider d'annuler le refus des fonctionnaires, sans pour autant octroyer le permis. Il semblerait que le dossier n'est pas complet, vu l'absence d'avis des conseils communaux quant aux modifications de voirie nécessaires en cas de réalisation du projet. C'est désormais à Greensky de demander aux communes concernées de se positionner sur cet aspect des choses. L'instruction du permis unique pourra alors se poursuivre en première instance. En cas de nouveau refus, il sera donc encore possible de déposer un recours auprès du ministre. Tout cela relève d'une logique du pas en avant et du pas en arrière et, en fin de compte, le citoyen n'y comprend plus rien, même si 90 % des Belges se disent favorables à l'éolien. On parle aujourd'hui d'un nouveau cadre de référence qui va sortir. Mieux vaut tard que jamais ! Ce n'est pourtant pas le nombre de questions et d'interpellations qui manquent sur le sujet. Les membres de la majorité et de l'opposition sont d'ailleurs à égalité dans ce domaine, la majorité ayant posé quasiment autant de questions que l'opposition sur le sujet éolien. C'est dire si le sujet nous intéresse au plus haut point. Cependant, nous n'avons pas tous les mêmes visions sur le dossier. Si j'en crois la presse, un accord devrait être sorti avant la fin du mois de mars. Il y a clairement un retard. On a deux ministres Écolo en charge du dossier depuis le début de la législature, mais on nous annonce seulement maintenant un nouveau cadre de référence. Pour tous ceux qui s'y connaissent un peu, il est manifeste que le temps presse, au risque de voir le nouveau cadre de référence rentrer en application en fin de législature. Là où je vous donne raison, Monsieur le Ministre, c'est qu'il est plus que temps de mettre fin à l'anarchie qui règne dans ce domaine. Le MR prône une approche planifiée, cohérente et, oserais-je le dire, contraignante. En la matière, un décret serait sans doute le bienvenu pour encourager les projets éoliens dont l'intérêt énergétique est le plus prononcé. Bien sûr, il faut procéder aux implantations là où le vent est présent, régulier, de façon proche d'un réseau électrique. Les contraintes environnementales sont bien évidemment à prendre en considération. Un mât de 120 mètres, cela correspond à un bâtiment de 40 étages. Ces conditions, laissant une part importante à la qualité du cadre de vie de nos concitoyens, doivent, selon nous, se retrouver dans un texte. La presse indique, Monsieur le Ministre, que vous vous référez à un cadre qui existe en dehors de Belgique, en l'occurrence en Espagne, dans la belle région de Galice. À cet égard, quelles différences existent dans notre pays par rapport à la Galice ? Avez-vous posé des échéances dans la mise en oeuvre de ce travail ? La prudence est de mise sur le plan juridique dans ce dossier des éoliennes. La législation doit être précise et claire. Le vent est un bien public dont la région doit se préoccuper. Nous aimerions qu'aujourd'hui, en dehors des ambitions qui sont les vôtres, un chat soit appelé un chat. Nous sommes en droit de nous interroger sur les besoins de la Wallonie en termes de capacité. L'ambition affichée dans les dix ans s'élève à un peu moins que ce que produit actuellement la France. Il est crucial de fixer précisément les besoins actuels et futurs. Bien sûr, tout le monde sait que l'éolien ne présente pas une solution miracle. Il faut qu'il y ait du vent, c'est une évidence. En termes de besoins électriques, il semblerait que la Wallonie ne soit pas en déficit. Ceci semble impliquer à l'inverse que les Régions bruxelloise et flamande le seraient. En Wallonie, nous ne sommes pas demandeurs, nous serions même exportateurs. Je vous exhorte avant tout à être sérieux ! Si c'est pour produire des moyens complémentaires qui coûtent, il faut avoir la correction de dire qu'on va faire dépenser des sommes importantes au budget wallon, alors que, peut-être, on n'en a pas besoin, à moins que vous ayez des perspectives qui indiquent qu'il y ait un réel besoin.
La participation des décideurs locaux est également indispensable. Le Belge est favorable à l'éolien. Malheureusement, lorsqu'il y a un projet, c'est au niveau local que les oppositions naissent. C'est là qu'il faut avoir une procédure qui permette de rejoindre les intérêts général et particulier, d'où la nécessité d'une législation en la matière. Je souhaiterais également évoquer la question de la dépréciation immobilière. Dans ma commune, nous sommes demandeurs de quatre éoliennes. Trois ont été acceptées par le ministre. Je n'ai eu que peu d'opposants dans ma commune Si la quatrième a été refusée, c'est à cause de la présence de chauves-souris. Dans le débat public, les habitants ont posé la question d'un risque de dépréciation immobilière. La réponse des auditeurs n'a jamais été précise, même si elle était très correcte, à savoir qu'il n'existe pas d'études précises en la matière. Monsieur le Ministre, disposez-vous d'une telle étude ? On cite parfois le chiffre de 30 %. Je n'y crois pas. Je pense qu'il peut y avoir, au moment de l'établissement des éoliennes, un bref affaiblissement, mais on sait qu'immédiatement après, cela reprend le cours normal du marché. Si vous avez des références en la matière, je vous invite à les donner. Je souhaiterais également revenir sur un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Montpellier, le 4 février 2010, qui a condamné GDF-SUEZ à démonter quatre éoliennes pour trouble anormal de voisinage, par dégradation du paysage, par les nuisances auditives et par la dépréciation foncière qui en découle. Autre question : les retombées économiques. Si cela décolle, il faut reconnaître avec modestie que nous ne sommes pas les premiers : le Danemark, l'Allemagne et la France sont largement en avance sur nous. Cela veut dire que ce sont ces entreprises-là qui ont l'expérience, l'expertise, mais aussi la production. Y a-t-il, selon vous, des retombées qui pourraient exister pour l'entreprise ? Qu'en est-il, par ailleurs, de la période transitoire ? Tous les bourgmestres présents ici savent que nous sommes soumis à des « chasseurs de signatures » ; des personnes viennent chercher des terrains qu'ils pensent être les plus opportuns, font signer le fermier en lui faisant miroiter qu'il va gagner beaucoup plus qu'en cultivant sa terre , et demandent alors un permis. Pour ma part, je le leur refuse, dès lors que quatre éoliennes me suffisent. Entretemps, les documents sont signés. Des compagnies ont donc en mains des terrains qui, potentiellement, pourraient être des terrains utiles. Comment va-t-on fonctionner avec ces détenteurs de « certificats » ? Y aura-t-il une législation qui s'appliquera avec effet rétroactif ? Quod non, je ne le pense pas ? Comment entrevoyez-vous la solution par rapport à cette situation ? Quel délai cette situation transitoire peut-elle connaître ? Enfin, qu'en est-il de l'éolien vertical ? Planchez-vous sur le sujet ? Ces éoliennes verticales semblent être porteuses d'espoir. Cela s'est avéré nettement moins rentable que prévu et plus coûteux que ce qui avait été initialement avancé. Au niveau technique, ce n'était pas non plus au point. Dans votre nouveau cadre de référence, y aura-t-il un chapitre sur ce sujet ?
Réponse de M. le Ministre Philippe Henry, Ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du Territoire et de la Mobilité.Le débat de ce jour sur le développement de l'énergie éolienne est essentiel. Il fait partie d'un contexte d'interrogation des citoyens et du monde économique quant à la place de l'éolien et des énergies vertes en général ainsi que de la manière de les implanter dans notre région. Il pose aussi des questions pour l'avenir de tout un secteur en développement exponentiel, celui des énergies renouvelables. Le point de départ de notre réflexion et des choix de la Wallonie est que nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 80 % à 95 % d'ici 2050. La question de savoir si, oui ou non, nous devons développer le potentiel éolien dans notre région ne se pose pas. L'éolien est l'énergie verte qui est technologiquement la plus mûre. De plus, notre région présente un potentiel important. Il est donc évident que nous devrons le développer. Cependant, nous devrons le faire de manière bien réfléchie. En janvier 2010, le Gouvernement wallon a identifié différents enjeux : l'adaptation des dispositions du CDR de 2002, la remise en cause du système « premier arrivé, premier servi », la question de la maîtrise foncière et, enfin, une meilleure prise en compte de la participation citoyenne et communale dans l'appropriation des projets de parcs éoliens de puissance. Le CDR de 2002 doit être revu. En effet, depuis 2002, l'implantation d'éoliennes en Région wallonne a
bien évolué. Le nombre de celles-ci sur le territoire wallon est passé de deux éoliennes de faible puissance à 34 parcs éoliens en fonction. La technologie a également fortement évolué. En effet, les éoliennes de grande puissance se généralisent et leur incidence environnementale est mieux maîtrisée. Les objectifs en matière d'énergie renouvelable sont devenus obligatoires d'ici 2020. La participation des citoyens et/ou des communes s'est développée. Les études d'incidence se sont améliorées et constituent un recueil d'analyses de terrain utiles pour différents organes d'avis lors de la procédure d'instruction. Des études ont été menées à bien, tant en matière de potentiel éolien qu'en matière de cadre pour l'implantation d'éoliennes. Toutes ces évolutions ont amené le gouvernement à considérer que le cadre référentiel éolien devait être revu. Nous allons aborder maintenant la maîtrise foncière ainsi que la remise en question du principe « premier arrivé, premier servi ». Le gouvernement a souligné ces deux éléments dans l'idée de déterminer une stratégie d'implantation des éoliennes afin de lever toute incertitude dans le chef des investisseurs et ce, afin d'aboutir à une politique ambitieuse et pragmatique. Monsieur Jamar, vous évoquiez les moratoires au niveau des communes. Il est sûr qu'en l'état actuel des choses, il n'est pas facile de juger les meilleurs projets et de prendre des décisions vis-à-vis de ceux-ci. Il s'agit de choisir les meilleurs sites et d'y avoir accès, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui. L'enjeu de la participation a fait l'objet d'une attention particulière. Il semble qu'une approche plus déterminée en matière de participation citoyenne est souhaitable. Sur base de ces premières options, depuis un an, le Ministre Nollet et moi-même avons mené différents travaux, en association avec d'autres collègues, lorsqu'ils sont concernés, pour dégager des pistes permettant de rencontrer ces enjeux : • consultation de tous les secteurs concernés par l'éolien ; • réalisation d'un travail prospectif pour évaluer le potentiel éolien wallon et analyse de l'impact de certaines contraintes sur celui-ci ; • faisabilité de différents outils de politique foncière et faisabilité d'appels d'offres avec mise en concession des sites favorables ; • note du facilitateur éolien examinant les différentes pistes en matière de renforcement de la participation citoyenne et/ou communale. • Le développement éolien s'inscrit dans le développement de l'énergie verte. Le Gouvernement wallon a adopté un projet d'arrêté portant sur la fixation des quotas de certificats verts. Un quota de 37,9 % est fixé comme cible à atteindre d'ici 2020. Ces quotas seront évalués tous les trois ans. Leur révision se fera en fonction de l'évolution du marché de l'électricité verte et de l'objectif de 20 % d'énergies renouvelables en 2020, dont 8 000 gigawatts/heure d'électricité renouvelable en Wallonie. Le gouvernement s'est assuré que la révision du mécanisme des certificats verts permette d'en améliorer l'efficacité et l'équité. Au regard de ces objectifs, les mécanismes de permis sont insuffisants pour orienter le choix des sites dans une cohérence régionale. Il s'ensuit que le potentiel éolien wallon ne peut être optimisé tant dans son aspect de performance énergétique que dans son insertion dans notre cadre de vie. Le système doit donc évoluer. Nous proposons donc au gouvernement quatre outils pour la politique éolienne : un objectif éolien, un nouveau cadre de référence, un mécanisme permettant d'optimaliser la sélection des objets, d'avoir une plus grande prise sur le foncier et, enfin, un accompagnement participatif de l'éolien. Les discussions sont en cours au gouvernement. Vous comprendrez donc que je ne pourrai pas répondre à toutes vos questions. Néanmoins, M. Fourny a raison, lorsqu'il dit qu'il ne faut pas traîner. Nous devons faire des choix. Premièrement, l'objectif éolien est important à cet égard. Le gouvernement a fixé un objectif de 8 000 gigawatts/heure d'électricité à produire à partir de sources renouvelables sur le sol wallon. La part de l'éolien sera importante car c'est une technologie mature et que le gisement venteux sur notre territoire est de bonne qualité. Le rapport coût/efficacité de cette ressource présente en abondance chez nous est très bon. Deuxièmement, le cadre de référence détermine des critères à respecter pour l'implantation des éoliennes lors de l'examen des demandes de permis unique. Il s'agit d'un outil d'aide à la décision sur les aspects territoriaux et environnementaux. Nous nous sommes inspirés des recommandations inscrites dans le rapport de la cellule éolienne, et souhaitons qu'il soit étoffé sur certains aspects, à savoir la performance énergétique et la composition paysagère. Troisièmement, quant à l'outil foncier, l'intervention des pouvoirs publics est limitée aujourd'hui aux questions urbanistiques et environnementales au travers de la délivrance des permis uniques, et non sur la question de la mise à disposition des terrains. L'accessibilité au site dépend donc de la seule volonté des propriétaires ou détenteurs des droits
d'occupation. Ainsi, le refus de certains propriétaires de céder leur terrain ou les engagements qu'ils ont déjà pris avec le premier promoteur qui les a sollicités entraînent : • l'indisponibilité de sites potentiels intéressants, voire les plus intéressants ; • une rentabilité non optimale des parcs, à défaut de pouvoir implanter le nombre idéal d'éoliennes ; • une spéculation sur les terrains ; • un surcoût important pour les promoteurs. Parallèlement, l'absence d'intervention des pouvoirs publics sur la question de la mise à disposition des terrains entraîne : • une dépense importante des promoteurs dans la phase de recherche de sites potentiels et de négociations avec les propriétaires sans garantie de la Région d'obtenir in fine les permis ; • l'impossibilité d'exercer une influence dans la sélection des sites à développer prioritairement ; • le risque de déperdition du potentiel de certains sites en raison de la coexistence de projets insuffisamment coordonnés ; • la difficulté de favoriser la participation citoyenne, l'efficacité énergétique et l'intégration paysagère. • Différents outils ont été étudiés pour répondre à ces difficultés : expropriations, droits de préemption, concessions, ou encore modification du plan de secteur. Le mécanisme de concession combine la reconnaissance de l'intérêt public de l'implantation d'éoliennes et des appels à projets. Cela permettrait de répondre aux enjeux identifiés par le gouvernement. L'application d'un tel mécanisme nécessiterait d'identifier les territoires qui présentent un potentiel venteux intéressant. Un outil similaire est appliqué en Galice. Il combine une planification identifiant les aires de développement de l'éolien et un appel d'offres du pouvoir public. Le processus se déroule en amont de la procédure qui conduira à l'autorisation administrative. Il s'agit d'une des pistes actuellement étudiées par le gouvernement. Le nouveau CDR comprendra des recommandations relatives à la participation. Le rapport de la Cellule éolienne ainsi que la note du facilitateur éolien font, à cet égard, partie de notre réflexion. La mise en place d'un accompagnement adéquat des acteurs publics et citoyens tout au long du projet est aussi une nécessité. Une autre piste intéressante est la mise sur pied d'une structure pouvant également jouer un rôle de portage financier pour les communes et les coopératives citoyennes.
Réponse de M. Jean-Luc Crucke :Force est de constater qu'avec l'éolien, Écolo met la Wallonie en situation d'attente. C'est une réflexion perpétuelle, un débat qui, d'un point de vue politique, est neutre, voire nul. Nous ne sommes nulle part, alors qu'il ressort des propos mêmes du ministre qu'il s'agit d'un débat essentiel pour l'économie wallonne. De mémoire de parlementaire, je n'ai jamais assisté à une réponse aussi insatisfaisante. À un moment donné, il faut tout de même bien décider. Quand allez-vous prendre des mesures concrètes dans ce dossier ? Quelle est la stratégie du gouvernement ? Je m'adresse au président de notre commission : ne faudrait-il pas entendre les acteurs de l'éolien pour en savoir un peu plus ? Même pour la Galice, ce n'est qu'une piste parmi tant d'autres ! Quand j'entends ce qui a été répondu aujourd'hui par le ministre, je me dis qu'il est temps que nous ayons finalement un décret, sinon les investisseurs iront voir ailleurs.
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