lundi 17 janvier 2005

Question orale de Jean-Luc CRUCKE au Ministre Marie-Dominique SIMONET sur "Appel d'Annemie Turtelboom, Ministre de l'Intérieur"

M. Jean-Luc Crucke (MR).À la fin du mois de décembre, alors que presque tout le monde était en congé, Mme Turtelboom, ministre de l’Intérieur, a lancé un appel aux enseignants et aux personnes en contact avec les jeunes pour les inciter à « débusquer les éléments les plus radicaux de la jeunesse et, à défaut de dialogue possible, les signaler auprès de la police ». Je dois dire que ce genre d’appel me semble un peu étrange, si pas totalement malvenu. La ministre de l’Enseignement de la Communauté française a-t-elle été informée, contactée à ce propos ?
Un dialogue entre la ministre de l’Intérieur et celle de l’Enseignement a-t-il eu lieu ?
Y a-t-il eu concertation ? Si oui, une solution s’est elle dégagée ou une volonté d’émettre un appel envers les enseignants ? Si c’est le cas, pourquoi doit-il passer par le ministère de l’Intérieur et non provenir directement de celui de l’Enseignement ? J’aimerais élargir le débat sur les relations entre directions, enseignants et police. Une ligne de démarcation existe-t-elle ? Dans certains cas, la direction ou les enseignants ont-ils l’autorisation voire l’obligation d’aviser les autorités policières ? Cette matière est à ce point sensible qu’elle devrait être définie précisément. Une circulaire définit-elle les obligations légistiques et le rôle et les responsabilités de chacun ? Je voudrais profiter de cette problématique concernant l’appel de Mme Turtelboom pour clarifier ce qu’il y a lieu de faire dans une situation donnée.

Mme Marie-Dominique Simonet, ministre de
l’Enseignement obligatoire et de promotion sociale.
Comme vous, j’ai lu cette déclaration dans un journal. J’en ai été surprise. Mme Turtelboom lance, dans la presse néerlandophone, un appel pour que les enseignants et les personnes travaillant avec les jeunes soient attentifs au phénomène de radicalisation à la base du terrorisme. La ministre de l’Intérieur affirme que lorsqu’un jeune s’éloigne des autres et tient des propos qu’il n’aurait pas tenus auparavant, cela doit être pris comme un signal. Les adultes qui travaillent avec le jeune doivent lui parler et, en cas d’échec dans leur démarche, faire appel à la police. Où va-t-on s’arrêter ?
Nous connaissons tous des jeunes qui s’isolent. Les raisons en sont multiples, qui n’ont rien à voir avec le terrorisme. Il faut être attentif à ce signal mais on ne peut systématiquement avertir la police. La ministre de l’Intérieur précise que le but n’est pas de signaler chaque jeune au comportement étrange mais de sortir de l’isolement des jeunes qui changent soudainement d’attitude. Il n’y a pas eu concertation à ce propos. Face au terrorisme et à la radicalisation, nous devons tous rester vigilants mais cela ne signifie pas que cette vigilance doive porter uniquement sur les jeunes et le monde scolaire ni qu’il faille systématiquement avertir la police. L’isolement et le changement brusque de comportement d’un adulte ou d’un jeune peuvent s’expliquer de multiples manières. Il faut alors privilégier l’écoute et l’accompagnement. Il existe pour ce faire de nombreux services organisés et subsidiés en Communauté française, y compris dans le secteur de l’enseignement.
Monsieur Crucke, l’appel de Mme Turtelboom vous a amené à réfléchir, légitimement, sur la collaboration entre la police et le monde de l’enseignement. Sachez que cette thématique a déjà été indirectement abordée en commission à l’occasion d’interpellations portant sur la lutte contre la violence scolaire parfois extrêmement grave. L’articulation entre le rôle éducatif de l’école et le celui, sécuritaire, des forces de polices est complexe. Il est difficile de fixer la frontière entre le moment où le chef d’établissement peut agir seul et celui où il doit alerter la police. Mais nous ne pouvons laisser les chefs d’établissement dans l’incertitude et sans points de repères. C’est pourquoi des circulaires ont été éditées. Elles visent notamment à préciser les modalités pratiques relatives au traitement des situations où la loi n’est pas respectée telles que la détention d’armes, la dégradation de matériel, l’intrusion non autorisée dans l’enceinte scolaire, le racket ou le trafic de stupéfiants. Tout chef d’établissement est susceptible d’être confronté à ces situations. Le dispositif mis en place par la Communauté française pour lutter contre les violences scolaires, ou réagir aux faits graves et complexes, est de qualité. Une série d’intervenants sont mobilisables par la direction de l’école. L’articulation de leurs interventions et les mesures mises en place par les équipes enseignantes et éducatives doivent permettre à la fois de réprimer les comportements répréhensibles et d’accompagner les victimes ainsi que les auteurs des faits, les familles et les autres
élèves de l’établissement scolaire concerné. Le chef d’établissement peut notamment s’appuyer
sur l’équipe du CPMS qui joue un rôle central dans la prévention et l’accompagnement, être soutenu par les nombreuses autres ressources de l’enseignement scolaire et familiales ainsi que par les équipes mobiles. Lorsque des faits répréhensibles sont constatés, le directeur peut, s’il le juge opportun, faire appel aux forces de l’ordre afin d’effectuer la répression qui s’impose et rappeler la loi. Avant d’actualiser les différentes circulaires et d’envisager une législation spécifique, il me paraît opportun de clarifier la manière dont s’articulent les diverses interventions afin d’augmenter leur efficacité, tant dans le travail de prévention que dans celui d’accompagnement ou de répression de faits graves. Il est vrai qu’il y a déjà des circulaires à ce sujet. Il est en effet primordial de tenir compte des services existants, de leurs missions respectives et de l’évaluation des dispositifs mis en place. Il est par ailleurs difficile d’imaginer toutes les situations possibles.
Si la prévention et la répression sont deux missions utiles à la société, elles doivent rester distinctes. En milieu scolaire, le rôle de la police est avant tout sécuritaire. Il s’agit de rappeler la loi et d’intervenir de façon répressive. C’est un rôle nécessaire et socialement important. Par contre, la mise en œuvre de la prévention incombe aux acteurs de l’école : chefs d’établissement, enseignants, éducateurs, membres des équipes des CPMS ou des services de promotion de la santé à l’école et de médiation scolaire. Tous peuvent travailler en collaboration avec des services spécialisés. L’avis 19 du conseil supérieur des CPMS, et l’avis 105 du conseil communautaire de l’Aide à la jeunesse nourriront la réflexion que je mènerai avec mon administration et les acteurs de terrain.

M. Jean-Luc Crucke (MR). Ce qui était choquant, c’est que Mme Turtelboom ne faisait pas mention de mesures dans ses propos. Cela permet tous les abus ! Nous sommes dans une société de droit, ce qui signifie également qu’il y a des obligations. Il fallait dénoncer les propos caricaturaux que la ministre fédérale a tenus à l’encontre des jeunes. Je suis heureux d’apprendre qu’il n’y a pas eu de concertation. Je vous demanderai néanmoins de réagir avec fermeté à l’égard de Mme Turtelboom et ce, sous deux angles. Formellement, le pouvoir fédéral n’a pas à s’immiscer dans les prérogatives de la Communauté française. Sur le fond, vous pouvez sans crainte signaler que votre point de vue est partagé par tout notre parlement.
Vous avez raison d’affirmer qu’il ne faut pas de législation spécifique. Une clarification peut par contre être utile. Je prendrai connaissance des deux avis que vous avez mentionnés. Aucune direction d’école ne fait appel à la police de gaieté de cœur. Cela traduit toujours un échec. Il faut malheureusement parfois avoir recours à cette ultime voie.

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