apprentissage de la lecture: en français ou en Neerlandais
Question de M. Jean-Luc Crucke à Mme Marie-Dominique Simonet, ministre
de l’Enseignement obligatoire et de promotion sociale, intitulée « Apprentissage
de la culture dans la langue cible en immersion »
M. Jean-Luc Crucke (MR).
– Une étude de Mme Charlotte Vandersmissen, linguiste à la VUB, démontre de manière claire et précise que la pédagogie d’enseignement en immersion est nettement plus performante chez les élèves pour qui l’apprentissage de la lecture s’effectue dans la langue cible et qui transfèrent ensuite leurs connaissances vers la langue maternelle. Cette étude valide les propos du professeur Braun de l’Université de Mons voici quelques années. À l’occasion d’une expérience menée dans ma commune, il avait en effet affirmé qu’il fallait choisir une langue plus accessible, comme le néerlandais, pour apprendre l’écriture et que le transfert se ferait très naturellement vers une langue plus complexe comme le français. À l’époque, il s’est heurté à certaines réticences de la part des parents.
Avez-vous pris connaissance de cette étude, madame la ministre ?
Disposez-vous d’autres informations corroborant la thèse de Mme Vandersmissen qui, contrairement à l’inspection générale, dit énormément de bien de l’immersion ? Elle établit en effet une comparaison entre la Flandre et la Communauté
française, et souligne l’utilité du choix de notre communauté. Quelle analyse faites-vous de cette étude ?
Enfin, pouvez-vous nous indiquer le pourcentage d’écoles ayant fait ce choix pédagogique ?
Mme Marie-Dominique Simonet, ministre de l’Enseignement obligatoire et de promotion sociale.
– L’étude à laquelle vous faites allusion, monsieur le député, a été réalisée dans une école wallonne pratiquant l’enseignement en immersion.
Il s’agit d’un mémoire de fin d’études. Ce n’est donc pas une thèse.
Mme Vandersmissen, étudiante en linguistique, a comparé les résultats des élèves francophones qui apprennent à lire en néerlandais et ceux des enfants qui apprennent à lire en français.
Il en ressort que les élèves francophones apprenant à lire d’abord en néerlandais maîtriseraient la lecture mieux que ceux qui commencent l’apprentissage
en français.
Ces résultats sont en effet en phase avec une thèse élaborée par son professeur et maître de mémoire, M. Piet Van de Craen de la VUB, qui insiste sur les avantages de l’apprentissage précoce des langues pour l’évolution du cerveau de l’enfant,
ce qui est un autre débat, certes fort intéressant.
Cependant, il faut bien définir ce que l’on entend par « bon lecteur ». Le fait de « savoir lire » ne se limite pas au décodage des mots, comme l’indique d’ailleurs Mme Vandersmissen dans son étude. Elle n’a pris en considération que des enfants
débutants. L’étude se focalise donc sur le stade du décodage, où l’on apprend à reconnaître les lettres et les phonèmes, et à retrouver les mots.
C’est évidemment important mais l’apprentissage de la lecture va bien plus loin. Il faut savoir décoderet reproduire les sons et les mots, mais également
comprendre et reproduire ce qui a été lu.
Pour dire d’un élève qu’il sait lire, qu’il est un bon lecteur, il faut qu’il soit capable de décoder, d’interpréter,d’intégrer, de reconstruire oralement ou
par écrit le texte qui vient d’être lu.
La lecture est un mécanisme complexe et il ne faut pas se limiter à en détailler un seul aspect. En effet, cet apprentissage s’effectue selon trois axes :
le cerveau, la pensée, le langage.
Le premier, le cerveau, permet à l’apprenant de décoder le message.
À ce niveau, les conclusions de Mme Vandersmissen rejoignent les thèses du professeur Piet Van de Craen. Ce dernier affirme en effet que leslangues comme le français et l’anglais sont plusdifficiles à décoder que le néerlandais ou l’espagnol.
Il explique qu’en néerlandais, il y a moins de différences entre ce qui est entendu et ce qui est écrit. Le son « o » s’écrira toujours « o » ennéerlandais, alors qu’en français, il peut égalements’écrire « au » ou « eau ».
Tout enfant peut donc décoder des symboles simples et les reproduire d’une manière systématique.
En français, cette opération s’avère plus difficile car il faut associer des lettres pour former des phonèmes qui s’écrivent différemment alors qu’ils se prononcent d’une manière identique. Par exemple, le son « fe » peut s’écrire f ou ph comme
dans « phare » ou « phoque ». Le son « gne » s’écrit gn dans « mignon » ou ni dans « niais ».
Chacun d’entre nous se souvient des leçons de vocabulaire où il fallait trouver des homonymes,c’est-à-dire des mots qui se prononcent de la même manière mais qui s’écrivent différemment et qui ont un sens différent. Je prends un exemple au
hasard : sot, saut, seau, sceau. C’est là une autre complexité dans l’apprentissage d’une langue.
Ces cas parmi d’autres sont une des preuves que l’apprentissage de la lecture dans la langue maternelle n’est pas non plus dépourvue de sens, bien qu’il soit parfois plus facile dans la langue cible au début.
Un bon lecteur n’est pas celui qui sait dire tout haut ce qu’il lit mais bien celui qui en comprend la signification. Les universités se plaignent que certains
étudiants ne maîtrisent pas suffisamment finement leur langue maternelle.
L’axe de la pensée entre aussi en jeu. Si l’élève ne comprend pas la différence de signification des homonymes, comment pourrait-il écrire un mot
correctement dans son contexte ? La maîtrise orale de la langue maternelle donne alors un moyen supplémentaire à l’apprenant pour surmonter la difficulté.
La langue maternelle peut également faciliter la communication entre l’enseignant et l’apprenant puisqu’ils ont le même code oral.
Les pédagogues sont unanimes à constater qu’un élève qui maîtrise bien sa langue maternelle apprend plus facilement d’autres langues. Par ailleurs, un élève qui possède un bagage lexical riche lit et écrit plus aisément que celui dont le
vocabulaire est limité. La stimulation du cerveau, par la langue maternelle, par l’oral, par l’écrit ou par une autre langue, est également importante.
Il n’est pas simple de s’y retrouver parmi les différentes thèses. Je fais donc confiance aux équipes éducatives quant au choix de la méthode utilisée pour l’apprentissage de la lecture.
Je ne pense pas qu’une méthode soit particulièrement privilégiée. Certains enseignants adaptent la méthode aux besoins des élèves. Nous devons
rendre hommage aux équipes pédagogiques qui ont à coeur de mener leurs élèves le plus loin possible.
J’imagine que votre propos ne visait pas à faire commencer l’apprentissage de la lecture en néerlandais partout en Communauté française. Je n’ose penser aux conséquences que cela pourrait avoir ! Il était cependant intéressant de pouvoir
comparer les options.
L’apprentissage de la lecture ne se limite pas à des définitions linéaires ou à des expériences isolées. Monsieur Crucke, l’étude que vous mentionnez
porte sur un nombre assez réduit d’enfants puisqu’il s’agit d’une classe. Les conclusions sont intéressantes mais l’échantillonnage est un
peu restreint.
L’inspection s’est penchée sur l’immersion. Sur les 3 078 implantations que compte la Communauté française, 152 pratiquent l’apprentissage en immersion. L’inspection ne les a pas toutes visitées.
Elle en a ciblé un certain nombre, comme elle le fait pour d’autres matières, que ce soit les mathématiques, les sciences ou le français. Elle a
constaté qu’environ quarante-cinq pour cent des écoles abordent l’apprentissage de la lecture en première année dans la langue ciblée. Les avis sont donc partagés : c’est presque moitié-moitié, moitié pour l’apprentissage immédiat dans la langue
ciblée, moitié pour l’apprentissage en français et
immersion par ailleurs.
Nous sommes au coeur de la liberté de choix pédagogique du pouvoir organisateur. L’adhésion de l’équipe éducative chargée d’assurer la continuité à travers tous les cycles est évidemment indispensable pour que les objectifs soient atteints.
Ce choix pédagogique est d’ailleurs prévu par le décret du 11 mai 2007. Un comité d’accompagnement est chargé de la mise en place et du suivi
du projet d’immersion. Il peut évidemment en débattre et choisir toute méthode lui paraissant la plus appropriée.
M. Jean-Luc Crucke (MR). – Je remercie sincèrement
la ministre pour sa réponse. Le professeur Piet Van De Craen n’est pas le
seul à défendre cette théorie, même s’il ne faut pas généraliser. Je retiens qu’il est possible de stimuler le cerveau, quelle que soit la pédagogie retenue,
ce qui a nécessairement un impact positif sur le potentiel intrinsèque de l’enfant. Or un des buts de l’enseignement est précisément d’aider l’enfant
à sortir de sa coquille pour le mener le plus loin possible.
Il est scientifiquement prouvé que l’apprentissage d’une langue est d’autant plus facile qu’il est précoce. Cependant, les professeurs Vandersmissen,
Braun et Van De Craen sont d’avis que les enfants ayant acquis une certaine maturité sont capables d’effectuer plus rapidement le transfert vers leur langue maternelle. Il s’agit d’un élément dont il faut tenir compte. En tout cas, le débat est ouvert.
Il revient à la ministre de suivre son évolution sur le plan scientifique.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Abonnement Publier les commentaires [Atom]
<< Accueil