Imposition des travailleurs transfrontaliers: quel manque à gagner pour la Belgique ?
Commission des Finances et du Budget, mardi 12 02 2008.
Question de M. Jean-Luc Crucke au vice-premier ministre et ministre du Budget, de la Mobilité et des Réformes institutionnelles sur "l'impact budgétaire de la non-application du principe de l'imposition des travailleurs dans le pays du lieu de travail" (n° 1898)
03.01 Jean-Luc Crucke (MR):
Monsieur le président, le vice-premier ministre vient justement de faire allusion à la confection du budget. On pourrait l'interroger sur des rentrées financières qui n'existent pas encore, je pense plus particulièrement aux travailleurs frontaliers français.
La convention fiscale pour la prévention de la double imposition de 1964, qui applique tout le contraire de ce que préconise l'OCDE, à savoir l'imposition sur le lieu de travail, vient de subir un avenant signé par les deux ministres des Finances, belge et français. L'avenant prévoit l'application de ce principe OCDE à partir de 2010 et fixe une compensation de 25 millions d'euros environ.
Dans le cadre de la confection du budget, il serait intéressant d'évaluer toutes les rentrées financières sur lesquelles on ne peut pas compter.
Monsieur le vice-premier ministre, je voudrais connaître la perte annuelle occasionnée par les frontaliers français dans le budget de l'État belge. Je ne parle pas seulement des Français qui travaillent dans le Hainaut occidental et dans le Courtraisis, là où on rencontre le plus cette situation. On peut y ajouter la région d'Ypres mais il y a plus de travailleurs français en Wallonie qu'en Flandre. Je ne parle pas seulement des Français qui viennent travailler en Belgique mais aussi des Belges qui partent habiter en France, généralement pas les plus pauvres, et qui bénéficiant de ce statut de frontaliers ne cotisent plus à l'impôt des personnes physiques tout en continuant à bénéficier de tous les avantages sociaux. Quel est le montant de cette perte pour les caisses de l'État belge?
Ma deuxième question sera plus subjective puisque je suis bourgmestre d'une commune frontalière. Le statut fiscal des travailleurs frontaliers a également un impact sur les additionnels communaux. Même si l'avenant prévoit de corriger cette situation à l'avenir, dans ce régime transitoire, quel est le manque à
gagner des communes frontalières et généré par ce phénomène en vogue? En effet, de plus en plus de personnes trouvent un certain charme à ce statut de frontalier, en particulier du côté de la France vu qu'avec les autres frontières, le problème a été réglé depuis longtemps.
03.02 Yves Leterme, ministre:
Monsieur le président, je vous remercie.
Monsieur Crucke, je commencerai par vous répondre sur les additionnels communaux. L'application du régime aux frontaliers résidents de France n'a aucun impact direct sur la perception des additionnels par les communes belges. En effet, ils sont calculés à partir de l'impôt sur les personnes physiques auquel les résidents en Belgique sont assujettis. Selon la logique de l'OCDE, si les résidents français étaient imposables en Belgique, ils ne seraient pas soumis à l'impôt des personnes physiques, mais à celui des non-résidents et ne payeraient donc pas d'additionnels communaux – abstraction faite de l'accord avec la France au sujet de l'avenant sur un remboursement forfaitaire.
Ensuite, s'agissant du manque à gagner général qui résulte de l'application du régime frontalier prévu par la convention belgo-française préventive, il est difficile de l'évaluer précisément. Les frontaliers employés en Belgique sont, par définition, des non-résidents. Puisqu'ils ne sont pas imposables en Belgique, ils ne doivent pas y déclarer leurs revenus. Dès lors, les seules informations dont l'administration dispose à leur sujet sont les données figurant dans le système informatisé "Belgotax'", qui permet aux employeurs de remplir leurs obligations en termes de précompte professionnel. Toutefois, les données contenues dans ce système sont nécessairement incomplètes, étant donné que les employeurs ne sont pas obligés d'y participer et que l'administration ignore leur taux de participation. Nous ne sommes donc pas certains que tous les employeurs utilisent "Belgotax".
Sur la base des données de 2005, nous pouvons estimer – pour l'exercice d'imposition 2006 - le nombre de frontaliers à 33.000. L'administration évalue l'impôt brut total à quelque 57 millions d'euros. Ce montant ne tient pas compte des charges de famille, qui ne sont pas davantage connues – et je vous en ai expliqué la raison. D'autres éléments, comme des déductions déterminées des revenus provenant d'une autre origine ou le travail à temps partiel, peuvent encore influencer ce montant dans les deux sens.
Pour intégrer ces facteurs, l'administration a produit une estimation minimale et maximale. Il en résulte qu'elle table sur une fourchette comprise entre environ 29 millions et 65 millions d'euros. Bien entendu, il
convient d'insister sur le fait qu'il ne s'agit là que de tentatives d'estimations dont la fiabilité ne peut être garantie en raison du peu d'informations dont dispose l'administration au sujet des travailleurs concernés.
En bref, pour l'ordre de grandeur, je vous ai parlé de 57 millions puis de la fourchette entre 29 et 65 millions d'euros.
03.03 Jean-Luc Crucke (MR): Monsieur le président, j'aimerais tout d'abord remercier le vice-premier ministre pour sa réponse, mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec sa première réponse, à savoir qu'il n'y a aucun impact direct sur les additionnels.
Je ne dis pas que sa réponse n'est pas exacte sur le plan de la technique fiscale. Comprenons-nous bien, monsieur le vice-premier ministre, sur ce qui se passe: les Belges qui quittent la Belgique pour se domicilier en France resteraient en Belgique s'il n'existait pas ce régime si favorable et paieraient leurs impôts frontaliers, étant domiciliés dans une commune frontalière. C'est une première perte.
Deuxièmement, je vous remercie pour ce chiffre de 57 millions.
3.04 Yves Leterme, ministre: Ils peuvent avoir d'autres raisons pour déménager.
03.05 Jean-Luc Crucke (MR): Je suis persuadé qu'il n'y en a pas beaucoup par rapport à ceux qui sont là.
Si vous lisez l'étude EuresChannel, vous verrez que ce transfert est essentiellement dû à ce différentiel de 30% sur le plan fiscal, ce qui n'est pas rien pour certains emplois: plus les gens gagnent, plus la différence est importante.
Deuxièmement, je vous remercie donc pour le chiffre. Je comprends qu'il puisse exister une marge et que l'administration doive en tenir compte. Mais un autre calcul peut être réalisé: vous m'avez cité le nombre de 33.000 frontaliers en 2005; aujourd'hui, on peut dire qu'ils sont 40.000. Ces 40.000 pourraient être remplacés – au conditionnel – par des chômeurs, flamands comme wallons, qui pourraient travailler à leur place. Or, le budget doit aussi payer ces chômeurs. Je reste toujours optimiste et je me dis qu'un sur deux pourrait être un chômeur qui prendrait une place, mais un chômeur coûte au minimum 10.000 euros. Faites le calcul et vous retrouverez encore 200 millions d'euros.
Pour moi, ce système existant qui pourra, heureusement, être modifié par la concrétisation de cet accord et de cet avenant est inique parce que qu'il coûte au budget belge et parce qu'il lèse le fédéral. On est en train de mettre en place une politique fédérale au bénéfice d'une région. Tout à l'heure, vous avez parlé d'Ypres, de Courtrai; les emplois sont là-bas, ce que je ne critique pas. Mais un autre phénomène indirect est très dangereux: certaines entreprises se déplacent de la région d'Hasselt ou de Liège pour s'implanter dans cette région: elles peuvent faire appel à des frontaliers qui leur coûtent moins cher, parfois plus qualifiés, mais qui alors, à même qualification, coûtent encore moins cher.
Il conviendrait de mettre fin à tout cela: il ne s'agit pas uniquement d'une inégalité sur le plan fiscal. Comme je pense à vous et que je veux vous aider, sur le plan budgétaire, cette recette ne ferait pas trop de mal et serait vite comprise par tout le monde.
L'incident est clos.
Libellés : fiscaclité transfrontalière, régime des travailleurs transfrontaliers
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