detention preventive (suite)
09 Question de M. Jean-Luc Crucke au ministre de la Justice sur "la détention préventive" (n° 11504) Chambre Mars 2009
Jean-Luc Crucke, député MR: La publication des chiffres sur l'importance en nombre de la "préventive" a fait débat. Le premier substitut du procureur du Roi de Tournai, M. Jean-Bernard Cambier, a réagi et particulièrement à la comparaison établie entre la France et la Belgique. J'estimais que son propos était assez intéressant.
En effet, il était fondé sur une analyse tirée de son expérience et de ses connaissances. Sans doute remettait-il aussi en place diverses réalités trop facilement avancées, sans vérification de leur contenu.
Le premier substitut rappelle ainsi "qu'il n'est pas possible de comparer les chiffres français aux belges" comme il n'est pas possible de comparer des pommes à des poires. Pourquoi cette distinction nette? Le système de comparution immédiate utilisé en France évite au prévenu de passer par la case préventive.
Quel est votre avis sur le sujet?
Le système français de comparution préventive pourrait-il être adopté en Belgique?
Le cas échéant, quels sont les obstacles à sa mise en pratique et inhérents au système judiciaire belge?
Autre différence soulignée entre nos deux pays: la France dispose d'un système de garde à vue qui permet de conserver un suspect durant 48.00 heures. Chez nous, c'est 24.00 heures et ce n'est pas une garde à vue.
La difficulté en Belgique, c'est qu'en arrivant à la fin des 24.00 heures, il devient obligatoire de saisir le juge d'instruction pour obtenir un mandat d'arrêt. Le fait de le saisir augmente le nombre de détentions, donc de préventives.
J'estime que c'est tout à fait vrai. Même si cela fait assez longtemps que je ne plaide plus, j'ai ce souvenir de l'urgence de saisir le juge alors que 24.00 heures supplémentaires permettraient sans doute à bien des personnes d'échapper à la préventive.
Monsieur le Ministre, êtes-vous favorable à l'allongement du délai primaire d'arrestation?
Le cas échéant, quels sont les obstacles d'ordre judiciaire qui empêcheraient d'adopter le système français?
Des expériences pilotes ne pourraient-elles pas être envisagées?
Enfin, une troisième réflexion assez judicieuse: le premier substitut précise que certaines préventives peuvent paraître longues uniquement parce que le rapport des experts est rendu après un délai parfois indécent. Certains experts ne respectent pas la diligence attendue en cette matière alors qu'une personne est en détention préventive.
Monsieur le ministre, à votre connaissance et selon votre administration, le SPF Justice dispose-t-il de statistiques à cet égard?
Seriez-vous favorable à l'instauration de délais imposés pour le dépôt des rapports d'expertise?
Quels seraient les obstacles qui s'opposeraient à ce type de législation?
09.02 Stefaan De Clerck, ministre: Madame la présidente, chers collègues, la question parlementaire de M. Crucke nous renvoie à une interview de M. Jean-Bernard Cambier, premier substitut du procureur du Roi de Tournai, en réaction à l'opinion émise par l'avocat Réginald de Béco sur la détention préventive.
Il indique qu'il n'est pas possible de comparer les chiffres de la Belgique avec ceux de la France, étant donné que ces deux pays disposent d'un système juridique différent.
La France dispose d'un système de comparution immédiate qui évite au prévenu de passer par la case préventive et d'un système de garde à vue qui permet de conserver un suspect durant 48 heures, soit le double par rapport à la Belgique. Il précise, dans un dernier point, que la durée de la détention préventive pourrait être limitée en imposant des délais plus stricts aux experts.
Vous me demandez mon avis sur le sujet.
Premièrement, comme l'indique l'article auquel vous renvoyez dans votre question, il convient de veiller à ne pas mélanger les pommes et les poires. Les chiffres doivent toujours être replacés dans leur contexte et dans leur cadre. Il en va de même pour la prise de position dans votre question selon laquelle l'introduction de la procédure de la comparution immédiate en France aurait conduit à une réduction du taux de détenus en préventive.
Sur la base de différents rapports dont je vous citerai tout de suite les passages les plus importants, j'estime que cette conclusion n'est pas aussi évidente qu'elle y paraît. En 2005, l'INCC a fourni un ouvrage essentiel sur la détention préventive et, plus particulièrement, sur une analyse des moyens juridiques susceptibles de réduire la détention préventive.
Ce rapport comprenait également un chapitre de droit comparé qui examinait notamment la situation en France, avec une attention spécifique pour la procédure de comparution immédiate. A la page 55 de ce rapport, on trouve un aperçu de l'évolution des chiffres de la détention provisoire en France entre 1990 et 2002. Concernant cet aperçu, les auteurs du rapport concluaient ce qui suit: "Le rehaussement du seuil d'admissibilité à trois ans ainsi que la création d'une nouvelle instance chargée spécifiquement de la détention provisoire n'ont pas permis d'endiguer le nombre d'entrées de prévenus dans les prisons, l'accroissement de ce nombre, soit 14, 6% entre 2000 et 2002, selon le rapport du ministère de la Justice pouvant en partie être attribué à l'utilisation accrue des possibilités offertes par la procédure de comparution immédiate".
Les chiffres et conclusions plus récents figurent dans le rapport de la Commission de suivi de la détention provisoire qui consacrait, en 2007, un chapitre entier de son rapport annuel aux déterminants de la détention provisoire: "Les déterminants de la détention provisoire. La comparution immédiate".
En voici quelques passages marquants. Á la page 100, on dit: "L'apport de la comparution immédiate comme facteur de diminution de la détention provisoire apparaît, en l'état actuel des informations, faible. Cette procédure a sécrété ses propres évolutions en s'ajoutant à l'éventail des possibilités dans les poursuites et les jugements avec des caractères qui en sont propres, en particulier en matière de durée de détention provisoire, durée dont il ne faut pas toutefois mésestimer les effets. De là on peut déduire, une nouvelle fois, que la baisse du volume de la détention provisoire, c'est-à-dire de ses flux et de sa durée ne résidera pas dans une seule mesure mais résultera de multiples efforts dans l'ensemble du système pénal".
Il est un fait que la mesure miracle n'existe pas. Je pense pouvoir dire sans exagérer que pratiquement tous les pays européens sont confrontés à ce problème de surpopulation.
La simple introduction d'une procédure de comparution immédiate ne sera pas suffisante et pourrait au contraire déplacer le problème, comme l'indique également la commission en France, quelques pages plus loin dans son rapport.
Indépendamment de la question ci-dessus sur la relation entre la comparution immédiate et la détention préventive, mais concernant les obstacles à la mise en pratique du système français de comparution immédiate en Belgique, une étude détaillée du système française serait nécessaire. Il m'est dès lors impossible de répondre à cette question dans le délai qui m'est accordé.
Néanmoins, je ne dois pas vous rappeler qu'un système de comparution immédiate (article 216quinquies du Code d'instruction criminelle) existe en Belgique mais celui-ci a été partiellement annulé par la Cour constitutionnelle et ne peut dès lors plus être appliqué.
En ce qui concerne votre demande de prolongation du délai actuel d'arrestation de 24.00 heures, je peux renvoyer à ma déclaration de politique 2008 (Jo Vandeurzen) communiquée au Parlement et aux différentes questions parlementaires orales et écrites auxquelles j'ai déjà répondu à ce sujet.
Il y est à chaque fois mentionné que la prolongation du délai d'arrestation policière de 24 à 48.00 heures pourrait être un moyen intéressant pour optimaliser la détention préventive. Cette prolongation permettrait au service de recherche de collecter un plus grand nombre de données de dossier, permettant aussi au juge d'instruction de se prononcer avec plus de précision sur la nécessité d'une arrestation. Elle pourrait également être associée à une collaboration accrue avec les maisons de justice qui pourraient faire des suggestions à très court terme sur les conditions de libération, ce qui pourrait engendrer une application plus efficace de la liberté conditionnelle.
Cette modification exige toutefois l'adaptation de l'article 12 de la Constitution qui fixe le délai de 24.00 heures. Cet article n'a cependant pas été déclaré ouvert à révision. Voyez la déclaration de révision publiée au Moniteur du 2 mai 2007. L'article 195 de la Constitution ayant toutefois été déclaré ouvert à révision, une révision anticipée des dispositions constitutionnelles serait éventuellement possible.
Sauf évolution quelconque concernant l'article 195 de la Constitution, il conviendra donc en principe d'attendre la fin de la législature pour pouvoir intégrer une proposition dans la déclaration de révision de la Constitution. On pourrait donc préparer le dossier mais pas le décider.
En ce qui concerne le dépôt du rapport par l'expert désigné, je souligne qu'un moyen de pression est bel et bien à la disposition du magistrat qui dirige l'enquête pénale. L'article 3 de la loi-programme du 27 décembre 2006 prévoit explicitement que le magistrat doit notamment fixer le délai dans lequel l'expertise doit être réalisée et par conséquent, le rapport déposé.
Si l'expert ne respecte pas ce délai, le magistrat peut réduire l'état de frais et d'honoraires. En outre, le parquet ou le juge d'instruction peut toujours demander à l'expert de justifier la raison pour laquelle le rapport se fait attendre. Les magistrats disposent donc bel et bien d'instruments et d'un cadre légal pour accélérer le dépôt du rapport d'un expert.
09.03 Jean-Luc Crucke (MR): Monsieur le président, je remercie sincèrement M. le ministre et, à travers lui, ses collaborateurs pour cette réponse extrêmement intéressante, fouillée et complète qui alimente bien le débat.
L'incident est clos.
Het incident is gesloten.
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