jeudi 16 mars 2006

decret inscription, ce qu'en pense Jean-Luc Crucke (suite)

Parlement de la Communauté française. Mars 2010

M le président. – La parole est à M. Crucke.
M. Jean-Luc Crucke (MR). – Je ne désespère pas de convaincre des membres de la majorité de modifier le vote qui, pour certains d'entre eux, leur a été imposé. J'ai en effet perçu, dans les explications et les motivations données, des divergences d'appréciations. Cela reste très civilisé et implicite mais les intonations variaient.

Ecolo aborde ce décret d'un point de vue technique afin de réparer les erreurs du passé. Nous sommes évidemment d'accord sur le principe. Ce sont ces erreurs qui nous ont menés au système de loterie et aux files devant les écoles.

Les socialistes, et notamment M. Walry et Mme Désir, dont l'exposé était très dogmatique et carré, estiment que ce décret est une chance car il permettra enfin d'assurer la mixité sociale dans les écoles.
C'est donc au parti socialiste que je m'adresse.

Si réellement, l'un d'entre vous espère régler la question de la mixité sociale avec ce décret, qu'il ne le vote pas. La meilleure manière de servir la mixité sociale est de s'abstenir. Nous sommes tous d'accord sur le constat de départ révélé par les
études Pisa, les expertises, etc. Tout le monde dénonce un fossé social. Mais, les enquêtes montrent également que les meilleurs sont de plus en plus performants et que les moins bons le sont toujours moins. Aujourd'hui encore, on affirme que
ce fossé s'élargit.
Mais il a été créé par les mesures
prises, et à cause de celles qui n'ont pas été prises, ces vingt dernières années.
Techniquement le formulaire est une bonne chose mais le décret que vous allez voter aujourd'hui ne changera rien en termes d'égalité. Si votre objectif est d'instaurer une plus grande égalité, il faut alors oser parler du rapprochement des réseaux, éventuellement de la fusion des réseaux car c'est ce genre de mesures qui nous permettraient d'y arriver. C'est ce débat que nous devons avoir si l'égalité est notre véritable préoccupation.
Il faut aussi oser envisager un encadrement suffisant pour que l'on puisse arriver à un degré zéro de décrochage scolaire.
Savez-vous qu'il y aurait en Communauté française 60 000 redoublements par an ? C'est cela l'échec de la mixité sociale ! C'est un défi que nous devons relever ! C'est de cela que nous devons débattre
si nous voulons plus d'égalité !

Certains ont même laissé entendre qu'il fallait en finir avec ce décret et passer à autre chose. Je ne suis pas de cet avis. Nous avons déjà perdu un an parce qu'il vous a fallu ce temps là pour vous mettre d'accord sur un texte. Mais cela n'a rien d'extraordinaire.
Ce texte n'a pas que des qualités. En revanche,
je reconnais que la circulaire était une bonne solution.
Égalité signifie les mêmes droits pour tous,mais pas le même chemin pour tous. S'il est peut-être politiquement correct et idéologiquement emprunté de revendiquer les mêmes droits, les mêmes exigences et les mêmes résultats pour tous, ce n'est pas réaliste. Je crains que cela continue à provoquer un nivellement par le bas.
Pour plus d'égalité, il faut laisser plus d'autonomie aux directions d'écoles. Or ce que vous vous préparez à voter signifie encore moins d'autonomie et une surcharge de travail incontestable
et même incontestée. J'espère que les directeurs recevront de l'aide, mais je n'ai pas vu la moindre ligne à ce sujet dans le décret. Certains ne prendront
sans doute pas de vacances à Pâques parce, par conscience professionnelle, ils tenteront de répondre aux parents.
Plus d'égalité ne dépend pas que de ce parlement ou de vous-même, madame la ministre. Plus d'égalité, c'est faire en sorte que les conditions dans lesquelles on est entré dans la vie puissent être modifiées. Ce serait la seule façon de réduire la fracture sociale. Comment peut-on parler
de mixité sociale quand certains enfants primoarrivants ont connu des conditions épouvantables, quand certains n'ont pas de chambre ou doivent la partager à trois ou à quatre, chez qui l'électricité est coupée dès vingt heures alors que d'autres
connaissent internet depuis longtemps ?
Plus d'égalité, c'est faire en sorte que les 40 % d'enseignants qui abandonnent ce métier au cours des cinq premières années ne le quittent plus.

Ce décret ne va en rien résoudre le problème de la
pénurie d'enseignants.
Madame Désir, ne confondez pas mixité sociale et mixité scolaire. La mixité sociale, c'est permettre à toute personne qui en a les compétences de suivre un enseignement exigeant. La mixité scolaire c'est vouloir la réussite de tous les élèves qui en ont les compétences, quel que soit l'établissement d'enseignement. Cela existe.
Mais pensez-vous que les enfants qui rencontrent d'énormes difficultés au départ se retrouveront dans de meilleures conditions si les parents les inscrivent dans une école réputée pour sa qualité ? On ne peut pas reprocher à une école d'être bonne. Si elle l'est, c'est parce qu'elle a travaillé dans cet objectif.
Changer d'école représente déjà un pas psychologique
énorme. Si vous savez que vous y êtes parce vous faites partie d'un quota, ce sera
plus difficile encore. Certains réussiront sûrement et pourront par la suite tout affronter. Pour les autres, nous créerons beaucoup plus de difficultés
que d'ouvertures.
Dans une interview de mars 2009, peu avant les élections, le président du parti socialiste justifiait la énième réforme du décret « inscriptions » en ces termes : « Il faut ouvrir les écoles huppées à tous les enfants ». Si c'est cela l'ambition, quelle triste pédagogie ! Selon moi, pour permettre aux
élèves d'avoir toutes les chances de réussir dans la vie, l'essentiel n'est pas de gommer les spécificités de certaines écoles. Ces écoles ont un projet éducatif, une façon de travailler et d'accompagner les élèves, qui ne se résument pas au prétendu niveau social. Vous allez gommer ces spécificités sans créer de mixité sociale.
Je ne m'appesantirai pas sur la complexité du décret.

Vous aurez remarqué, madame la ministre, qu'en tant que président de la commission, je me suis abstenu d'intervenir, même si l'envie ne manquait pas. Mais, sincèrement, ce décret est beaucoup trop complexe. Ce n'est pas pour rien que
nous y avons passé quatorze heures ! Avouez tout de même qu'il faut être psychologiquement perturbé pour écrire un article aussi incompréhensible
que ce fameux article 25, que nous avons d'ailleursrenoncé à amender ! Je souligne votre mérite de l'avoir expliqué avec tant de doigté et d'intelligence.
Cela n'a cependant pas suffi à convaincre ceux qui tentaient de vous suivre.
Parlant de complexité, j'attire votre attention sur un débat que nous avons eu hier, et au cours duquel vous avez reconnu, avec une sagesse et une correction qui vous caractérisent, que le décret relatif à l'encadrement différencié était particulièrement complexe. À l'heure actuelle, le gouvernement
n'aurait pas encore choisi la piste à suivre, parmi celles prévues par le décret, notamment pour passer de 12,5 % à 25 % d'écoles en discrimination positive. Pourtant le parlement avait voté tant les moyens – même s'ils ont été diminués
pour des raisons budgétaires – que la technique.

Pour diverses raisons, cette technique apparaît aujourd'hui difficilement applicable voire inapplicable.
Les obstacles rencontrés sont dus à la complexité du décret.
Je voudrais faire le parallèle avec ce décret.
Plus le système se complexifie – il concerne cinq ou dix pour-cent d'enfants – plus il est difficile d'aller au fond du problème. Cela signifie-t-il que tout
ce qui est complexe est incompréhensible et n'apporte pas de solution ? Pas du tout. Cependant, ici,
il est question de parents et d'enfants, et je crains
que la complexité du système n'augmente le déficit
social.
Les parents les mieux informés, qui ont l'occasion de consulter des juristes, qui consultent Internet ou qui auront eu l'opportunité de prendre connaissance de nos commentaires, comprendront rapidement le système. Les autres auront besoin de plus de temps, ce qui risque de les faire réagir hors
délai.
J'en arrive à la prééminence du critère géographique.
Je ne comprends toujours pas pourquoi le lieu de travail n'a pas été repris comme
critère.
Sans cesse, les ministres nous parlent, à juste titre d'ailleurs, d'emploi. Il faut trouver un emploi, l'emploi génère la socialisation, il permet
d'avoir ses marques dans la société ! C'est ce que nous souhaitons pour tous. Des millions d'euros sont dépensés à cette fin, tant à l'échelon fédéral que régional, et c'est une bonne chose ! L'emploi est un facteur de stabilisation des parents, qui
doivent parfois parcourir de nombreux kilomètres pour travailler. Or le critère du lieu de travail n'est pas retenu.
Selon la ministre, ce critère n'a pas été repris car on pouvait craindre des difficultés en termes de complexité, d'objectivation, de falsification des
données. Cela ne s'invente pas ! Comment peut-on soupçonner les employeurs de falsifier les données des personnes qui leur demandent, sur l'honneur,
une attestation du lieu de travail ? Le fait qu'une personne travaille en plusieurs lieux ne constitue pas non plus un problème. Le parent peut parfaitement
considérer que le temps du trajet effectué avec son enfant, en voiture, en train, à vélo, est une manière comme une autre de partager un moment de vie supplémentaire. Par ailleurs, la proximité du lieu de travail permet d'intervenir plus rapidement en cas de problème. Cette proximité que les
parents sont invités à prendre en compte quand il s'agit du travail, ne vaut pas pour l'enseignement.
Je ne comprends vraiment pas pourquoi ce critère
a été écarté.
Quant à la périphérie, je ne compte pas revenir sur ce qui a été très bien dit par mes collègues.
Madame la ministre, si je puis comprendre l'urgence qui était la vôtre, je n'en déplore pas moins l'absence de processus d'évaluation de mixité sociale, sur la base des décrets votés antérieurement.
Nous ne disposons pas d'un dossier d'évaluation et ne pouvons que le regretter. Pour remplir une feuille blanche, il vaut mieux que la matière soit connue. À défaut, la note sur le bulletin risque d'être mauvaise.
Nous n'avons pas eu de débat sur la transparence.

Nous ne mènerons pas celui-ci non plus. Bien qu'il ait tout tenté, M. Wahl n'a sans doute pas réussi à vous convaincre. J'économiserai donc
mes propos.
Madame la ministre, vous qui faites généralement
preuve d'une grande logique, pourquoi ne l'appliquez-vous pas en l'occurrence ? Pourquoi est-il si difficile de nous montrer un système que vous présentez à d'autres et que la Ciri maîtrise déjà ou maîtrisera bientôt ? Par ailleurs, j'attire
l'attention de mes collègues sur le risque de politisation de cette institution. Madame la ministre, pourquoi nous refusez-vous cette revendication
élémentaire ? Comment pouvons-nous jouer notre rôle de parlementaires de contrôle de
l'exécutif si certains éléments nous sont dissimulés ?
(M. Luperto, présidentr, reprend la présidence
de l'assemblée.)
Je citerai deux exemples. Le premier concerne le vote électronique utilisé par certaines communes, principalement, hélas, au nord du pays. La
commission de l'Intérieur de la Chambre a évidemment examiné le dispositif avant de se prononcer.Comment pouvait-il en être autrement ?
Je vous invite à relire les exigences exprimées à l'époque, tous groupes confondus. On ne donne pas un blanc-seing à un gouvernement, même lorsqu'on fait partie de la majorité. Il faut avoir un
minimum d'exigence intellectuelle.
Le deuxième exemple concerne une tension qui m'avait opposé, au parlement wallon, à la ministre socialiste Éliane Tillieux, qui m'avait refusé l'accès à des documents qu'elle jugeait confidentiels.
Ils concernaient un dossier relatif à l'hôpital psychiatrique Les Marronniers. Je me suis insurgé contre ce refus. Heureusement, la présidente
du parlement wallon, Mme Hoyos, m'a donné raison et a exigé de la ministre qu'elle présente ces documents, quitte à le faire dans une salle où la
confidentialité serait garantie.
Si la majorité, pour accepter de nous montrer le dispositif, souhaite nous prendre par la main, afin de s'assurer que nous ne cassions rien, pourquoi
pas ? Nous pourrions regarder sans nous approcher à moins de quarante centimètres, voire d'un mètre !
Pour moi, il ne peut y avoir de limite au contrôle parlementaire, sinon la démocratie est en péril. Que votre raisonnement soit fondé ou non,
madame la ministre, c'est plus une question de forme que de fond, même s'il faut également insister sur le fond. Vous auriez pu imposer que cette information soit mise à la disposition du parlement avant qu'il ne doive se prononcer.
Il est surtout très frustrant de savoir que d'autres ont pu voir le système. Nous sommes des parents et des représentants d'une population qui compte, elle aussi, de nombreux parents qui nous demandent de contrôler l'action du gouvernement

Quel que soit le système, refuser de donner des informations alors qu'un groupe en a fait la demande est un précédent qui pourrait nous mener
très loin. J'espère que pareil incident ne se produira pas.
Ceux qui voteront ce décret devront se demander si, dans l'état actuel du dossier, ils peuvent le faire en leur âme et conscience sans prendre le moindre risque. Je ne pourrais pas répondre positivement à cette question. (Applaudissements)

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