vendredi 16 décembre 2005

Question orale de Jean-Luc CRUCKE au Ministre Marie-Dominique SIMONET sur "le refus d'organiser un cours d'éducation affective et sexuelle"

M. le président. – Ces interpellations sont jointes.

M. Jacques Morel (ECOLO). – Le journal Le Soir rapportait la semaine dernière que, selon des déclarations de membres de votre cabinet, l’éducation à la vie sexuelle et affective était impraticable. On croit rêver. Ou plutôt cauchemarder. Depuis 2001, au moins, la Communauté française s’est accordée sur l’importance de généraliser l’éducation à la vie sexuelle et affective à l’école et a mené et évalué de multiples projets pilotes. Elle a sollicité des études auprès de l’École de santé publique de l’ULB et des Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur. De plus, les recherches et les observations fournies par les acteurs de terrain comme les centres de planning familial, les SPSE ou les CPMS convergent toutes. La résolution adoptée par les parlements en 2008, les accords de gouvernement en 2009 de la Communauté française, de la Région wallonne et de la Commission communautaire française, démontrent s’il le fallait la nécessité de généraliser l’éducation à la vie sexuelle et affective dans l’enseignement. Au niveau régional, les accords de majorité prévoient de concrétiser un accord de coopération entre les entités, de désigner les opérateurs et d’entrer dans la phase de déploiement. Sur le terrain, la volonté d’intégrer un programme Evras, en tous cas, dans l’enseignement technique et professionnel, devrait trouver sa concrétisation dans les plus brefs délais. Le groupe de travail mis en place suite à la réunion conjointe des gouvernements doit impérativement se mobiliser pour finaliser ces objectifs conformément aux échéances prévues. Récemment, le parlement de la Communauté française a adopté deux résolutions complémentaires recommandant la généralisation de l’Evras. La première résulte des conclusions de la réunion du comité mixte avec le Jura dont on a parlé ce matin ; le Jura a, comme la Suisse, intégré l’Evras dans le cursus scolaire. Le Jura a donc une belle expérience. La seconde a été adoptée à l’unanimité ici même le 1er décembre à l’occasion de la Journée mondiale du sida. Plus récemment encore, le Conseil supérieur de la jeunesse a adopté un avis recommandant la généralisation de l’éducation à la vie sexuelle et affective dans les écoles. De plus, quatre fédérations de centres de planning familial ont, en août dernier, adopté une position commune partant du principe que l’éducation sexuelle est un droit. Nous apprenons alors par voie de presse, que le cabinet de la ministre qualifie à présent ces cours d’impraticables et en subordonne la conception à la mise en place de cellules sur le bien-être chargées de « régler » un ensemble disparate de problèmes qui affectent les écoles comme l’éducation à la sexualité certes, mais aussi les assuétudes, les jeux vidéo, le décrochage scolaire ou l’éducation citoyenne. L’école est un espace pertinent pour les questions relevant du domaine de la santé, qu’il s’agisse de l’alimentation, des assuétudes, des activités physiques, etc., et de l’éducation à la vie sexuelle et affective, à l’environnement, à la consommation ou encore à la citoyenneté responsable. Les nombreux intervenants qui se présentent à l’école ou qui sont requis par elle ont soit des missions exclusives, comme les PSE et les PMS, soit particulières, thématiques, comme le planning familial, certains services de santé mentale ou certains acteurs d’éducation ou de promotion de la santé. La Déclaration de politique communautaire intégrera des cellules « bien-être » au projet pédagogique des établissements, sous la coordination des PSE et/ou des PMS. Ces cellules, évoquées par la presse, visent à structurer les intervenants extérieurs et ne sont aucunement en contradiction avec la volonté des gouvernements de généraliser l’Éducation à la vie relationnelle, sexuelle et affective – l’Evras. Il conviendrait toutefois qu’elles ne mettent pas en péril ou ne retardent pas la concrétisation de nos engagements. En ce qui concerne l’Evras, je voudrais m’appuyer sur les résultats des nombreux travaux, des expériences pilotes et études réalisés en Communauté française durant ces dix dernières années. Il n’a jamais été envisagé de dispenser des cours de vie sexuelle et affective mais bien d’y consacrer un espace dans le cursus scolaire sous forme de modules de quelques heures dans chacun des cycles, en utilisant éventuellement les plages blanches. Cet espace doit permettre de favoriser la relation des enfants avec la famille, qui n’est évidemment pas évincée dans cet apprentissage et dans la prise de parole sur ce sujet parfois encore difficile à aborder. L’animation des modules serait confiée, à la fois pour des raisons de compétence et de neutralité, à des professionnels de la santé issus des plannings familiaux, PMS ou PSE. Madame la ministre, ayant eu connaissance des résultats des études réalisées, dont celle de l’ULB-Promes, vous aurez constaté que des animations ont déjà lieu dans nombre d’établissements ; vous aurez aussi observé que les enseignements technique et professionnel sont peu concernés par ces animations. L’objectif est de généraliser le dispositif pour en faire bénéficier tous les jeunes, sans discrimination. Il est heureux que les gouvernements de la Communauté française, de la Région wallonne et de la Cocof aient conjointement installé le pilotage du groupe de travail sur le sujet, dans le cadre des compétences Égalité des chances de la ministre Laanan. Cela démontre que l’enjeu est triple. Le premier enjeu est l’égalité sociale. En effet, les questions de sexualité sont moins abordées dans les établissements fréquentés par une population socio-économiquement défavorisée. Le deuxième enjeu est la non-discrimination tant de genre que de statut sexuel, notamment visà- vis des homosexuels ou des transsexuels. Le troisième enjeu vise à accorder une place essentielle aux questions relatives à la sexualité. Nombre d’événements récents confirment la nécessité d’apporter davantage de sérénité dans les rapports humains ; pour s’en convaincre, il suffit de voir les faits de violence à l’encontre des femmes, les grossesses non désirées, les grossesses chez les adolescentes, la pédophilie, la maltraitance sexuelle, la pornographie, etc. Pour toutes ces raisons, il était légitime que la DPC et les différentes résolutions intègrent dans le cadre de l’école une approche de la vie sexuelle et affective. Les propos de votre cabinet remettentils en question ces engagements pris par notre assemblée? Qu’en est-il des travaux du groupe de travail issu de la réunion conjointe des gouvernements et chargé de conduire la mise en oeuvre d’une coopération des entités fédérées et des acteurs pour concrétiser ces engagements en faveur d’une généralisation de l’éducation à la vie affective et sexuelle ?

M. Richard Miller (MR). – M. Morel a souligné à quel point les parlementaires que nous sommes ont été surpris par les déclarations de votre cabinet relayées dans la presse. Celui-ci déclarait son impuissance à créer une éducation à la vie sexuelle et affective, les cours étant impraticables, etc. Une vision positive de la promotion de la santé conduit à considérer que toute personne a le droit de vivre sa vie affective et sexuelle de façon libre, épanouissante et responsable, ce qui implique notamment de disposer d’informations objectives et de repères éducatifs. C’est en effet par ces quelques mots qu’est introduite la proposition de résolution du 26 juin 2008 « recommandant la généralisation des animations à la vie relationnelle, affective et sexuelle en milieu scolaire » cosignée par les quatre formations politiques démocratiques qui composent cette assemblée. La forme et la place que doivent prendre ces animations dans le contexte scolaire ont révélé certaines divergences entre nous. Certains sont adeptes d’un véritable cours – le conseil de la Jeunesse a récemment rappelé son plaidoyer en ce sens, et il n’est pas le seul –, d’autres penchent plutôt vers des « modules ». Contrairement aux apparences, cette divergence va bien au-delà d’une simple question pratique et soulève de manière très concrète la question du lien entre l’évolution de l’école et l’évolution de la société. Au niveau sociétal, les signaux sont alarmants. Alors que la vie affective et sexuelle se développe de plus en plus tôt chez les adolescents, leurs connaissances, leurs repères sur le sujet semblent inexistants. Les conséquences de ces manquements sont souvent douloureuses : maladies sexuellement transmissibles, grossesses non voulues, recours à l’interruption de grossesse, etc. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les résultats et statistiques d’études diverses comme l’enquête « Santé et bien-être » – selon laquelle 52%des élèves de 15 à 18 ans déclarent avoir déjà eu des rapports sexuels – et celle réalisée par la Commission d’évaluation de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse qui rend compte d’une augmentation de 15 % entre 2000 et 2005 pour les jeunes filles entre 10 et 19 ans. En commission, j’ai exprimé à plusieurs reprises mon étonnement face à la croissance du nombre d’IVG pratiquées notamment dans les centres de planning familial. J’espère qu’elles sont pratiquées dans des conditions médicales et sanitaires optimales. Ce sont en effet souvent des personnes issues de milieux totalement défavorisés qui ont recours à ces centres. À lire ces statistiques, on ne peut que se demander ce que fait le gouvernement. Selon l’article de presse précité, votre cabinet, madame la ministre, évoque pour sa défense des questions d’organisation, d’horaire et de contenu. On peut certes en tenir compte mais il faut savoir ce que l’on veut : pour atteindre les objectifs, « l’intendance » doit suivre. Puisque nous sommes confrontés à un problème important pour la vie sexuelle et affective des adultes de demain, il est de votre devoir de ministre de l’Éducation de trouver une solution. La déclaration de votre cabinet est donc très surprenante. Le problème découle également de ce que l’on demande à l’école. Lorsque nous étions enfants, les choses étaient claires pour la majorité des gens : les parents éduquaient et l’école instruisait. Il existait une sorte de « frontière ouverte » qui permettait d’émanciper et de « construire » les futures générations. Cette « frontière ouverte », tous les parents ne la concevaient peut-être pas de la même manière, mais la majorité d’entre eux partageaient cette façon de voir. Aujourd’hui, la distinction des rôles entre la famille, les parents et l’école est de plus en plus floue. Les raisons en sont multiples : évolution des moeurs, parents davantage occupés par leurs obligations professionnelles – trajets plus longs, les deux parents travaillent, familles monoparentales –, problèmes liés à l’immigration, pornographie facilement accessible notamment sur Internet, etc. La tendance est de laisser à l’école des missions qui ne lui étaient pas dévolues précédemment. En même temps, cette espèce de relégation vers l’école de la mission d’éducation s’accompagne curieusement d’une sorte de remise en question de l’autorité scolaire : il ne faut plus obéir aux professeurs, les enfants peuvent se débrouiller, etc. Nous sommes donc confrontés à un problème d’ordre sociétal. L’école doit-elle rester les bras croisés face à cette évolution ? Je ne le crois pas. Il est possible d’organiser des animations dans le cadre d’un cours sur la vie relationnelle, affective et sexuelle, au sein de l’école et en collaboration avec elle. Mon groupe plaide depuis des années pour une meilleure utilisation des temps scolaires. Ce que l’école ne peut pas accomplir ne doit pas nécessairement être réalisé en dehors de celle-ci. Il suffirait de faire preuve d’un peu plus de volontarisme et d’accueillir dans les écoles, pendant les jours blancs, des représentants des centres PMS, des centres de planning familial ou d’autres organisations similaires pour que les enfants reçoivent, en partie du moins, cette éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Ils en bénéficient visiblement de moins en moins aujourd’hui. Qu’attendez-vous, madame la ministre ? Votre formation politique n’a-t-elle pas elle aussi signé la proposition de résolution à laquelle j’ai fait allusion? Je sais, madame la ministre, que mes propositions ne résoudront pas tous les problèmes mais elles apporteront quelques améliorations. Il y a peu, un de vos prédécesseurs soulignait: « En cinquante ans, les jours d’ouverture des écoles sont passés de quatre cents demi-jours à cent quatre-vingt-deux jours fictifs. Fictifs parce qu’il faut en déduire des jours consacrés aux examens, à leur correction, aux procédures de recours. On le sait, les écoles se vident vers la mijuin. Mais il faut encore soustraire les jours de formation des enseignants, leurs congés de maladie sans remplacement organisé et les effets néfastes de la pénurie et des vacances anticipées ou prolongées en raison des prix des billets d’avion. Un tel rétrécissement du temps scolaire n’est évidemment pas sans conséquences. La dilapidation du temps scolaire est tellement entrée dans les moeurs que d’aucuns n’imaginent même plus qu’on puisse faire autrement ». Madame la ministre, aujourd’hui, quelle que soit la façon dont vous aborderez les responsabilités et les missions de l’enseignement, vous ne ferez pas l’économie d’un débat fondamental sur l’organisation du temps scolaire. Il faut avoir le courage de le mener de front, quitte à passer sous les fourches caudines des pouvoirs organisateurs, des syndicats et autres organismes dont la mission première est de maintenir les choses en l’état. Nous devons assumer notre responsabilité politique. Madame la ministre, vous pouvez compter sur les groupes politiques qui composent cette assemblée pour oser aborder cette question de front : comment pourrions-nous organiser l’école au mieux ? Nous venons d’avoir un débat sur les résultats des études Pisa. Hier, nous avons discuté des divers aspects de notre société pluriconvictionnelle. J’estime qu’il est également important de lancer un débat sur la vie affective des enfants et des futurs adultes. J’écouterai votre réponse avec beaucoup d’attention. Vous avez entre les mains l’avenir de toute une génération et vous auriez grand intérêt à faire confiance à cette assemblée parlementaire.

M. Jean-Luc Crucke (MR). – L’article paru dans la presse le 6 décembre dernier nous pousse à clarifier la position de la Communauté française et de la ministre par rapport à l’organisation de ce cours qualifié « d’impraticable ». Nous vivons dans un contexte sociétal très contradictoire. Notre société tend à l’hyper sexualisation des comportements des jeunes qui, à la pré-adolescence, se comportent déjà comme de véritables adultes. Le sexe est à la mode, mais on oublie une série de valeurs qu’il faut pouvoir retrouver. Le rôle de l’éducation et de l’enseignement est primordial mais les cours qui seraient organisés devraient prendre la forme d’un dialogue entre les élèves, les enseignants et la famille et non celle d’un enseignement théorique. Il faut resituer les valeurs et non le gadget – ou ce que j’ai qualifié tout à l’heure de jeunisme – qui serait considéré comme étant « la » raison d’être, la raison de vivre, l’exemple à suivre. C’est évidemment le contraire. J’ai été surpris par le contenu de cet article :« Les centres de planning familial ont conclu que l’éducation sexuelle était un droit. » Madame la ministre, considérez-vous que c’est un droit ? Dans l’affirmative, ce cours doit-il être légalement inscrit dans un programme ? Cette question est essentielle car, si c’est un droit, vous devez y apporter une réponse. Dans certaines écoles, ces cours existent sous l’une ou l’autre forme. Mais pourquoi dans certaines écoles et pas dans d’autres ? C’est une forme d’inégalité face à ce qui serait un droit. Il serait donc nécessaire de légiférer ou du moins de préciser le contenant et le contenu. Selon la presse, les trois partis au gouvernement ne seraient pas du même avis. Un cours obligatoire peut-il mettre toutes les écoles sur un même pied ? Certains le pensent mais, selon Le Soir, il n’y a pas d’accord au sein du gouvernement PS-Ecolo-cdH. Où se situe le désaccord ? Qui est d’accord et qui ne l’est pas ? Quels sont ceux qui sont prêts à soutenir l’initiative ? Je m’adresse à tous les politiques. M. Miller et moi-même pourrions déposer une résolution et inviter ceux qui le souhaitent à la cosigner. Il faut qu’ils sachent que, si certains font de l’obstruction sur ce dossier, ils peuvent compter sur le MR pour progresser. Le journaliste Hugues Dorzée, dont les qualités sont incontestables, rapporte les propos qui lui ont été tenus. Il écrit que, selon le cabinet de la ministre Simonet, l’idée d’un cours à part entière intégré dans les programmes est « impraticable en termes de grille horaire ». Vous devez justifier ce caractère « impraticable». Richard Miller l’a très bien expliqué : si c’est un droit et que l’on constate qu’il ne peut être exercé partout de la même manière, il faut légiférer. Il faut le rendre praticable ! Madame la ministre, j’aurais aimé savoir ce que vous appelez « des propositions alternatives». Quelles alternatives proposez-vous ? Comment font les autres pays ? Il y a peut-être des exemples à suivre en Europe ou dans le monde. Comment fait la Communauté flamande ? Dans d’autres pays, l’éducation à la vie affective et sexuelle est-elle considérée comme un droit des élèves ? Une méthodologie et une pédagogie ontelles été inscrites dans leurs programmes ? Ou d’autres formules sont-elles employées ? Ce débat ne doit pas nécessairement être clos aujourd’hui mais il doit nourrir notre réflexion. Nous pourrons y revenir de façon approfondie en commission de l’Éducation. Nous n’avons pas besoin de savoir qui a tort ou raison, mais votre réponse doit alimenter notre jugement.

M. le président. – La parole est à Mme de Groote.

Mme Julie de Groote (cdH). – Le titre d’un article de presse m’a fait réagir car je suis très attachée à cette question. Sous la précédente législature, Paul Galand, Fatiha Saïdi et moi-même sommes intervenus à plusieurs reprises à ce sujet. Mme Fadila Laanan nous a, un soir, répondu devant un parterre clairsemé. Aujourd’hui, nous avons donc l’occasion de mener un débat plus structuré que lorsque nous revenions à la charge de façon épisodique. Mon groupe partage les deux objectifs rappelés aujourd’hui par mes collègues. Je ne pense pas que vous n’y souscriviez pas, madame la ministre. Je ne veux pas vous faire de procès d’intention. Le premier objectif est que des animations – et non des cours – sur l’éducation à la vie sexuelle et affective soient organisées et abordent le thème de façon très large. Sous la précédente législature, Paul Galand et moi-même, en tant que présidents des commissions concernées, avons insisté sur une éducation non seulement à la vie sexuelle mais aussi à la vie affective. Au-delà de l’apprentissage des méthodes de contraception par exemple, ce qui est certes important, il y a aussi la connaissance et le respect de l’autre. Cet apprentissage est particulièrement important, à ce moment de vie où les jeunes ne savent pas où ils en sont, « ni dans leur corps ni dans leur coeur », et où, comme l’a rappelé M. Miller, il y a beaucoup de non-dit. C’est notre premier objectif. Le second objectif sera la généralisation de ces animations à l’ensemble des établissements. Nous en sommes tous demandeurs. On constate malheureusement que les grossesses précoces, par exemple, surviennent précisément dans des établissements qui n’organisent pas ce type d’animation. Comment procéder ? La priorité est la création d’un cours de philosophie et d’éducation aux religions. Nous nous rejoignons tous à cet égard. De même, nous reconnaissons tous l’existence d’un vrai problème de moyens et d’organisation. Ces deux constats ne sont d’ailleurs pas contradictoires. Il faudra faire le maximum pour créer le cours et résoudre les problèmes de ressources. Je voudrais ajouter une dimension supplémentaire : la méthode poursuivie est importante ; chaque établissement doit pouvoir s’approprier un tel projet, mais dans le cadre général de la santé, comme l’a rappelé M. Miller. Ce cadre comprend également, par exemple, la question des assuétudes et de la prévention du suicide ou d’autres phénomènes qui préoccupent les jeunes. La Déclaration de politique communautaire prévoit la création de cellules de bien-être dès l’école primaire, à créer en coordination avec les CPMS, les PSE et les Points d’appui sur les assuétudes. L’idée de travailler à partir de ces cellules me semble intéressante et j’aimerais donc savoir, madame la ministre, où en est ce dossier. Chaque établissement doit avoir sa propre feuille de route de façon à pouvoir aborder, au fil du temps et en fonction des âges concernés, tous les sujets et problèmes de société – animations Evras, problématiques du suicide, des assuétudes, des troubles alimentaires, etc. – qui nous semblent, à nous parlementaires, des priorités.

M. le président. – La parole est à M. Senesael.

M. Daniel Senesael (PS). – Le Conseil de la jeunesse réclame un cours de vie affective et sexuelle dans tous les établissements d’enseignement secondaire. Cet organe représentatif des jeunes en Communauté française recommande au gouvernement de mettre en place un tel cours et d’organiser des formations pour les enseignants. En outre, en août dernier, les quatre fédérations de centres de planning familial ont conclu que l’éducation sexuelle était un droit et qu’elle devait être inscrite dans le programme scolaire. Nous avons eu l’occasion, à de nombreuses reprises déjà, d’examiner des demandes de groupes et d’associations réclamant l’inscription de telle ou telle matière dans le programme scolaire. Nous savons toutefois que les apprentissages de base constituent la priorité. L’école doit beaucoup mais elle ne peut pas tout. Je partage votre avis, madame la ministre, que l’organisation qu’inscrire pareil cours dans la grille horaire est impraticable. Cependant, cette matière est primordiale et l’école peut être un lieu de sensibilisation formidable. Vous avez rencontré les fédérations de centres de planning familial et le Conseil de la jeunesse afin d’entendre leur point de vue et de débattre du sujet. Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les initiatives actuelles d’éducation à la sexualité pour la sensibilisation des élèves et celle des enseignants ? Quelles sont les pistes à l’étude ? Quel est l’état de la réflexion au gouvernement ?

Mme Marie-Dominique Simonet, ministre de l’Enseignement obligatoire et de promotion sociale. – Vos questions appellent une réponse claire et précise sur un sujet important au coeur de mes préoccupations comme de la Déclaration de politique communautaire. La question porte sur un cours d’éducation sexuelle. La réponse est non à un cours de plus dans la grille horaire mais oui, évidemment, aux deux objectifs rappelés par Mme de Groote. D’ailleurs les acteurs ne réclament pas un cours ex cathedra. L’organisation de ce cours, en tant que tel, soulève toute une série de problèmes mais je suis favorable d’une approche d’animation de l’éducation à la vie sexuelle et affective pour tous à l’école. M. Miller s’est interrogé à cet égard sur les missions fondamentales actuelles de l’école. Il a rappelé que la situation a fortement évolué, qu’il n’est plus question de transférer du savoir à l’école mais d’y promouvoir la confiance en soi, de permettre l’appropriation des savoirs, de préparer les élèves à être des citoyens responsables et d’assurer à tous les élèves des chances égales. C’est évidemment dans cette perspective que nous devons trouver les réponses à tous les questionnements. Après ce rappel du cadre général, je voudrais focaliser ma réflexion sur la promotion de la santé et l’éducation au bien-être en milieu scolaire. Les plans d’action, comme les intervenants, sont très nombreux, ce qui engendre parfois quelque confusion parmi les mesures. Les établissements scolaires sont sans cesse conduits à s’intéresser à des sujets multiples et variées, imposés pour des raisons historiques ou sociales, comme le rappelait M. Miller, mais ils ne disposent ni du temps ni des ressources pour les inscrire systématiquement dans leurs programmes. Chacun dans son domaine tient à dire son mot sur la manière dont l’école et singulièrement les enseignants devraient s’y prendre. Les assemblées consultatives, les experts multiplient leurs recommandations et invitent l’école à s’intéresser en priorité au sujet qui les préoccupe. Qui oserait contester la pertinence de dispositifs de prévention au suicide dans les établissements scolaires ? Personne ! Il en est de même pour la prévention de l’assuétude à l’alcool, au tabac ou aux jeux, que ce soit le jeu du foulard ou d’autres jeux violents. L’école sera également sollicitée sur la citoyenneté ou la philosophie. Je saisis l’occasion pour souligner la qualité des échanges que nous avons eus récemment à ce propos. Monsieur Miller, fautil choisir entre des cours d’éducation sexuelle ou de philosophie ? Quelles seraient vos priorités ? Il faut encore évoquer le sport, la lutte contre le suicide, le développement durable, le respect de l’environnement, l’égalité des chances, le surendettement, sans oublier les compétences fondamentales comme la lecture et les mathématiques et les sciences. La liste est loin d’être exhaustive. Tous ces thèmes importants paraissent prioritaires aux yeux de ceux qui les défendent mais, faut-il le rappeler, on ne donne pas cours la nuit ou le weekend! Doit-on, pour autant, chaque fois qu’un problème se pose, le traduire en cours, au risque de surcharger la grille horaire ? Non, bien évidemment. Parmi ces thèmes, l’éducation à la vie relationnelle, affective, sexuelle est un sujet important. Le Conseil supérieur de la jeunesse a récemment communiqué, comme de nombreux autres acteurs avant lui, ses recommandations au monde scolaire. Il faut veiller à intégrer l’Evras dans les grilles horaires mais non en faire un cours hebdomadaire! Cette recommandation légitime et généreuse pose une série de questions, que vous avez soulignées. Comment organiser cette intégration, à quel moment de la scolarité, avec quels acteurs, sous quelles formes ? Faut-il privilégier des cours ou des modules, et avec quel contenu ? Nous comprenons tous la limite de l’exercice, quelles que soient les matières envisagées. J’en arrive au coeur de la question : l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. J’ai pris connaissance des évaluations, des projets pilotes, des études et des recommandations de différents acteurs. Je suis convaincue de l’importance et de la nécessité d’intégrer l’Evras dans la vie scolaire mais surtout de veiller à y impliquer tous les acteurs de l’école. Les recommandations sont claires : il ne faut pas limiter l’Evras à quelques animations qui ne font que passer dans l’école et qui interviennent à un moment qui ne correspond pas nécessairement aux attentes de l’élève ; chacun évolue à un rythme qui lui est propre. Il faut plutôt assurer une présence pour que l’élève qui se pose des questions trouve les réponses au moment opportun, auprès d’un adulte, d’un professionnel. L’idée de proposer des animations Evras pendant les jours blancs est évidemment intéressante mais on ne disposera pas de tout le personnel puisque les équipes pédagogiques sont particulièrement occupées durant ces périodes. Certains élèves seront déjà partis ou ne seront pas réceptifs. Cette réponse serait insuffisante. Les recommandations insistent sur la nécessité de mobiliser les acteurs tout au long de l’année scolaire. Sans écarter toutes les opportunités, chacun reconnaîtra sans doute avec moi que la question est évidemment bien plus complexe.
L’évaluation des projets pilotes d’Evras est globalement positive. Mon intention est bien sûr d’en tenir compte et de prendre en considération les freins à la généralisation dans les écoles qui ont été mis en évidence, notamment par les fédérations de centres de planning familial. Je relève entre autres que « l’imposition de thèmes et de rythmes affecte l’autonomie pédagogique des centres de planning et les limite dans la prise en compte des besoins locaux
spécifiques ». Ces mêmes centres insistent sur le fait que l’implication de l’école est essentielle. La qualité du cadre proposé pour les interventions externes en constitue un élément majeur. En ce qui concerne les modalités de l’Evras – nombre d’heures, niveaux d’enseignement – le groupe de travail installé conjointement par les gouvernements et qui a été chargé de conduire la mise en oeuvre d’une coopération des entités fédérées et des acteurs pour concrétiser les engagements de généralisation de l’Evras a considéré que « poser le problème en ces termes enfermerait la problématique, la réduisant à la détermination
d’un quota d’heures d’animation, sans les restituer dans une politique globale de promotion de la santé ». C’est donc une thème plus large. En effet, une vie affective douloureuse peut mener au suicide, aux assuétudes. Tout est lié : il ne faut pas segmenter les choses. C’est pourquoi je ne suis pas favorable à la création d’un cours à part entière intégré dans le programme. M. Morel a d’ailleurs précisé qu’il n’était pas question de cela. Par contre, la question était posée dans l’article. Je ne suis donc pas favorable ni à un cours à part entière ni à des animations ponctuelles ou à des modules, mais bien à une intégration transversale, quotidienne. Les programmes sont chargés, tout le monde s’accorde sur ce point. Il faut centrer l’enseignement sur les apprentissages de base. Par contre, je ne remets absolument pas en cause les options, les engagements et les objectifs rappelés par Mme de Groote en matière d’Evras. Je souhaite simplement en faire les buts d’un dispositif plus large, prévu dans la Déclaration de politique communautaire, à savoir les cellules de bien-être. J’ai déjà expliqué à cette assemblée la politique que je souhaitais mener en matière de bien-être à l’école. Elle s’inscrira dans la durée et dans un projet global qui sera modulé selon le contexte et les besoins ; elle favorisera les méthodes interactives conçues avec et pour les jeunes ; elle visera à promouvoir le bien-être de tous en développant une stratégie d’éducation, de prévention, d’intervention globale et durable. Conformément aux recommandations, je souhaite que ce soit également le cas pour l’Evras. Le principe fondateur des cellules « bien-être » à l’école est de distinguer et de relier les différents acteurs, de veiller à la cohérence des interventions en articulant celles-ci sur les spécificités de chaque partenaire. Des actions ponctuelles et thématiques seront poursuivies, mais en tenant compte de leurs limites. Ainsi, le chef d’établissement, accompagné des membres de la cellule « bien-être » et, le cas échéant, en partenariat avec un centre de planning familial, pourra proposer aux élèves une politique beaucoup plus globale, ce qui me semble bien plus pertinent. Dans ces cellules, dont la création est prévue par la déclaration de politique communautaire, les CPMS et les SPSE, en tant que services de première ligne, auront à jouer un rôle moteur. La cellule « bien-être » sera composée, sans exclure d’autres partenaires ou personnes ressources, des acteurs de première ligne, qui se concerteront régulièrement pour aider le chef d’établissement à définir les lignes de force de son école. Elle dynamisera la promotion de la santé dans le temps et l’espace scolaires, identifiera les ressources internes, déterminera les services de deuxième ligne et les services extérieurs auxquels faire appel. Un tel dispositif tient compte des évaluations des projets pilotes, des études menées en matière d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle et des recommandations des centres de planning familial. L’objectif est que les animations Evras n’interviennent plus de manière ponctuelle, mais dans une approche plus globale s’inscrivant dans la durée. En collaboration avec le cabinet de Mme Laanan, je compte développer des projets pilotes dès septembre 2011. L’idée est de créer, à titre expérimental, des cellules « bien-être » dans les établissements de tous les niveaux et réseaux d’enseignement. Pour ce faire, nous souhaitons recourir prioritairement aux acteurs qui souhaiteraient développer une action de promotion du bien-être à l’école, mais qui éprouvent des difficultés à mobiliser une équipe reconnue dans un établissement scolaire. Notre projet est de construire avec eux une politique de prévention globale et durable, et de les accompagner dans la mise en oeuvre de ce projet par l’ensemble de la communauté éducative. Notre objectif est de susciter des pratiques locales, et non d’imposer des recommandations ou des injonctions quant à la manière d’agir, de proposer un questionnement et des points de repères, d’assurer la mise en oeuvre et l’évaluation de cette promotion du bien-être à l’école à travers lesdites cellules. Je souhaite privilégier une dynamique ancrée dans la réalité. Nous devons éviter les recettes toutes faites, les codes de bonnes pratiques qui ne mobilisent que les acteurs déjà sensibilisés. Nous devons conscientiser des personnes-relais, les aider à mobiliser des équipes et à construire des cellules. Il s’agit d’en faire un projet pour toute l’école. Des établissements scolaires ont déjà développé des animations Evras en collaboration avec les équipes des CPMS, des SPSE ou des centres de planning familial. Certains enseignants ont dès à présent intégré cette thématique dans leurs cours. Je les en félicite et les encourage à poursuivre ! Je souhaite prioritairement soutenir les chefs d’établissements qui sont confrontés à ces questions sur le terrain et qui n’ont pas toujours à leur disposition les réponses adéquates. Par la généralisation de l’Evras, je n’entends pas une systématisation contrainte, mais un soutien, une aide généralisée, qui ait du sens pour les acteurs de terrain, dans le respect de leur rôle et de leur mission. La mise en place du dispositif favorisera l’ar ticulation de différents facteurs. Au départ des réalités locales, il stimulera l’émergence de points de repères communs et la construction d’une dynamique cohérente de promotion du bien-être à l’école. Il guidera les acteurs locaux dans l’appropriation des recommandations des experts du projet politique de la Communauté française en matière de promotion du bien-être à l’école. L’intégration de l’Evras dans une dynamique de promotion du bien-être au coeur des politiques scolaires entre pleinement dans les missions de l’école.

M. Jacques Morel (ECOLO). – Les précisions que vous venez d’apporter, madame la ministre, permettent d’inscrire l’éducation à la vie sexuelle et affective dans une perspective globale de la mission de l’école, et je vous en remercie. Les besoins et demandes dans ce secteur sont clairement exprimées et identifiées. Il est temps de mettre en oeuvre les engagements que nous avons pris depuis des années et d’en tester la faisabilité. Les cellules « bien-être » représentent un facteur de régulation de toute une série de problématiques amenées dans l’école ou suscitées par elle. L’échange devrait se passer de manière dialectique et pourrait être une façon de mettre en rapport, dans un projet d’alliance éducative, les intervenants extérieurs issus du milieu associatif et ceux qui représentent les relais au sein de l’école, à savoir les professeurs, dans le cadre du projet d’établissement. De ce côté là, l’effet est positif. Je me demande si l’éducation à la vie sexuelle et affective doit être abordée par la même structure qui s’occupe de l’explication de la pyramide alimentaire ou de la prévention des assuétudes. Tous les jeunes ont le droit de bénéficier de l’Evras. Cela permettrait de replacer, au delà des aspects que je qualifierais de techniques, cette préoccupation essentielle dans la réalité des adolescents. Elle ne doit pas nécessairement passer par le filtre des cellules « bien-être ». C’est d’un autre ordre, c’est reconnaître que la sexualité fait partie de la vie tout court.

M. Richard Miller (MR). – Je remercie la ministre pour sa réponse. Je remarque qu’elle a clairement pris ses distances par rapport à l’article de presse qui nous avait inquiété sur cette question qui est pour nous très importante. Cependant, nous suivrons d’un oeil attentif les initiatives que Mme Laanan et elle-même envisagent de prendre. La première partie de la réponse de la ministre nous fait poser une question fondamentale. Toute une série de thématiques importantes concernent le monde scolaire. Hier, nous avons eu un débat très intéressant en commission ; ce matin, nous avons abordé le rapport Pisa. Cela montre bien que nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion approfondie sur l’utilisation du temps scolaire et sur ce que nous voulons inscrire dans ce que les Grecs appelaient la « paideia » et sur le rôle que l’école doit y jouer. Des dispositions réglementaires – c’est l’article 50 – sont prévues pour que nous puissions en débattre au parlement, sans que cela ne porte préjudice aux prérogatives ministérielles.

M. Jean-Luc Crucke (MR). – La ministre a été claire sur sa décision de ne pas organiser un cours d’éducation sexuelle. Sa réponse qui, d’une certaine manière, renvoie à l’autonomie des directions des écoles est intéressante. Encore faut-il qu’elles en aient les moyens ! Comme l’a très bien dit M. Miller, nous sommes dans un débat qui dépasse celui qui est en cours et qui porte sur les disponibilités horaires dans les écoles et les priorités. On ne peut pas le résumer à une question, aussi importante soit-elle. En tout cas, je ne suis pas sûr que ceux qui ont initié le débat par presse interposée seront très rassurés ou qu’ils trouveront, dans nos propos, une solution à ce problème. Le débat doit être plus large.

M. le président. – Les incidents sont clos. Je vous propose d’interrompre ici nos travaux.

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