Chambre, Décembre 2008.
Jean-Luc Crucke,député:Je ne vais surtout pas m'ériger en procureur du ministre. Je suis persuadé que vous vivez mal ce dossier.
Car, comme diraient nos amis chinois, vous vous trouvez entre le yin et le yang, hormis qu'il ne s'agit pas de poésie (sic) ici, mais de justice et de sécurité.
La première chose que nous devons obtenir aujourd'hui, c'est de savoir ce qu'il s'est réellement passé demi-heure par demi-heure. J'imagine bien que, dans une telle situation, des coups de téléphone s'échangent!
Certes, il est plus facile de refaire l'histoire après coup que de la vivre au moment.
Pouvons-nous dire que la décision qui a été prise fut mauvaise? Tant que je ne sais pas ce qu'il s'est réellement passé, je ne puis me prononcer.
La presse nous relate des versions différentes. C'est pourquoi je voudrais savoir si, oui ou non, injonction a été donnée au directeur de la prison de ne pas libérer M. Iasir alors qu'il était libérable. Si oui, qui a donné cet ordre et à partir de quelle information? Le ministre a-t-il été correctement informé et par qui?
Avez-vous demandé au parquet de trouver une parade, une solution, auquel cas je vous appuierais totalement? On parle dans ce cas d'une injonction positive. Si le ministre n'avait pas donné une telle injonction, on le lui reprocherait en arguant qu'il n'a pas rempli son rôle. Il y a l'injonction au directeur de la prison et l'injonction au parquet.
Monsieur le ministre, comment est-il possible, au XXIème siècle, par rapport à ce type de dossier qu'une telle affaire ait pu se produire? Les questions se multiplient.
Dans un premier temps, on nous parle d'une présumée fraude organisée, ce qui sous-entend une complicité interne au sein de la prison. Chacun sait que la prison de Forest est surpeuplée. On peut donc présumer que le travail n'est pas simple tout en sachant que ce dossier est des plus délicats.
Ensuite, on parle d'une énorme bourde, de négligence ou d'erreur. Dans quel scénario sommes-nous?
S'agit-il d'une présumée fraude organisée? Dès lors, cette circonstance pourrait être considérée comme atténuante. S'agit-il de la négligence d'un agent, qui n'a pas effectué son travail pour telle raison qu'une enquête devra préciser?
Monsieur le ministre, avez-vous le sentiment d'avoir transgressé le principe de la séparation des pouvoirs?
On peut encore en avoir le sentiment, et ne pas l'avoir fait et vice versa.
Je le répète, établir une comparaison avec d'autres dossiers que ce pays a connus est, à mon sens, exagéré. Par contre, on peut dire qu'on a affaire à un dossier dans lequel des principes me semblent avoir été violés, mais dans lequel aussi il y avait urgence par rapport à la sécurité du citoyen et des gens qui légitimement demandent justice. L'explication doit pouvoir être fournie aujourd'hui et la réflexion doit être menée sur la base d'explications, mais pas avant.
Réponse de Jo Vandeurzen, ministre de la Justice:
Ces questions juridiques ont été soumises par mon directeur de cabinet aussi bien au procureur du Roi qu'au procureur général, en les priant de m'informer. En outre, j'ai demandé, en ma qualité de ministre, si la chambre des mises en accusation pouvait encore statuer sur ces différentes questions juridiques, éventuellement même le dimanche 14 décembre ou le lundi 15 décembre.
J'ai ensuite demandé au procureur du Roi, via mon directeur de cabinet, de me tenir strictement au courant de l'évolution de l'enquête ouverte au sujet d'une fraude éventuelle.
On relève donc la question de la légalité de l'appel, l'information judiciaire en cours relative à une fraude éventuelle, la gravité des faits dont Iasir Hassan est suspecté et, surtout, l'incompréhension et la souffrance pouvant être ressentie par les victimes, en particulier par les parents de Kitty Van Nieuwenhuizen, la victime
Peter Van Stalle et toutes les autres victimes, ainsi que l'abattement du corps de police concerné.
Sur la base de ces considérations, il a été décidé, évidemment en concertation avec le procureur du Roi, d'attendre d'avoir des réponses aux deux questions juridiques essentielles qui se posaient. Mon cabinet en a informé la direction de la prison à environ 22 heures.
Le lendemain matin, mon directeur de cabinet a demandé quel était l'état actuel de l'enquête ouverte du chef de fraude et quels étaient les autres moyens légaux susceptibles de maintenir Iasir Hassan en détention. À ce moment, il était apparu que l'enquête du chef de fraude ne contenait pas assez de charges permettant de
conclure à l'existence d'une fraude. L'enquête indiquait cependant que la négligence d'un fonctionnaire pouvait être à l'origine du problème en ce qui concerne la validité de l'appel, tant que le parquet général était formel pour dire que cet appel était juridiquement valable.
Jean-Luc Crucke (MR): Madame la présidente, je remercie le ministre pour ses explications. Qu'il ait demandé au directeur de la prison et au procureur de le tenir informé, c'est parfaitement légitime. S'il ne l'avait pas fait, cela lui aurait été reproché.
Vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, votre décision – partagée par le procureur du Roi – a consisté à attendre, parce que vous ne déteniez pas encore de réponse à une question qui reste contestée, à savoir la validité de l'appel. Le procureur général considère, pour sa part, que l'appel est valide.
Je ne vais donc sûrement pas demander la démission du ministre pour un pareil cas. Cela relève entièrement de sa conscience. Je suis convaincu que beaucoup à votre place auraient agi de même. Il n'empêche qu'on a "surfé" sur la séparation des pouvoirs – c'est le moins que l'on puisse dire. Or nous devons tenir à cette séparation. Il s'agit d'une obligation qui est plus que morale, puisqu'elle est de droit. Etle droit, c'est aussi la morale – n'en déplaise à certains.
D'après moi, il subsiste une question qui n'est pas encore résolue. Je veux parler du rôle du parquet. En effet, nous partons d'une présumée fraude organisée pour aboutir à une erreur. C'est le rôle du parquet de prendre un certain nombre de décisions. Il incombe aussi au pouvoir judiciaire d'arbitrer entre certains éléments; ce n'est pas une prérogative du ministre.
J'ai quelque peu l'impression que le parquet attendait de se positionner derrière le ministre en s'en servant comme d'un paravent. Je n'ai pas de certitude à cet égard, mais nous devons éclaircir cet aspect du problème.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez dit avec raison que le système carcéral devait être modernisé. Ce n'est pas pour rien que la commission de la Justice se penche sur cette question. Selon moi, les procédures pénitentiaires devraient également être modernisées. Et il faudra, un jour ou l'autre, que soit redéfinie la détention préventive. Dans le cas de ce monsieur dont le pedigree n'est contesté par personne, il est évident que s'il avait été remis en liberté, vous ne seriez plus resté très longtemps à votre place.
Par contre, j'imagine bien que certaines personnes encombrent le système pénitentiaire alors qu'elles ne doivent pas s'y trouver. Cette situation rend encore plus compliqué le travail pénitentiaire. Ce ne serait pas du luxe que d'aborder ce problème en commission, madame la présidente.