Question orale de Jean-Luc CRUCKE au Ministre MARCOURT sur "Codiplomation belgo-belge"
M. Jean-Luc Crucke (MR). – Lors de notre débat en commission de l’éducation, il y a deux semaines, sur l’apprentissage des langues en Communauté française, il est apparu que la codiplomation permettrait un apprentissage plus efficace des langues. La codiplomation existe dans l’enseignement obligatoire. Il devrait en être de même dans l’enseignement supérieur. Comment s’organise la codiplomation en Communauté française ? A-t-elle du succès ? Certaines universités ou hautes écoles la pratiquentelles plus que d’autres ? Le cas échéant, remarquet- on un attrait particulier et des résultats probants? Combien d’étudiants francophones choisissent la codiplomation ? Combien d’étudiants germanophones ou néerlandophones fréquentent notre enseignement ? Quels sont les obstacles légaux majeurs à la codiplomation ? Quels sont les obstacles financiers (minerval, bourse, etc.) ? La bourse Erasmus-Belgica est-elle valable pour la codiplomation? Des améliorations doivent-elles être apportées à la législation en vigueur ? Ne serait-il pas utile d’établir un accord global de coopération entre les communautés du pays sur la reconnaissance mutuelle des diplômes ? Quelle est la position de vos homologues germanophones et néerlandophones sur ce point ? Comment la codiplomation est-elle validée (diplôme double, multiple, conjoint) ? Qui contrôle la qualité de la codiplomation? En 2007, l’implantation mouscronoise de la Haute École de Louvain en Hainaut et la Katholieke Hogeschool de Mechelen lançaient une codiplomation dans le baccalauréat en communication. Quel a été le résultat de cette initiative ? Je me souviens des difficultés de démarrage lorsque le nombre d’élèves était insuffisant. L’expérience existe également en région de Liège, entre la Haute École Charlemagne et la Haute École provinciale du Limbourg à Hasselt, qui proposent une codiplomation en langue germanique. Les résultats y sont-ils probants ? Comment la Communauté française promeut-elle le système ? Y a-t-il des mécanismes visant à valoriser la codiplomation et à informer efficacement sur cette opportunité?
M. Jean-Claude Marcourt, vice-président et ministre de l’Enseignement supérieur. – Comme vous l’avez souligné, nous nous accorderons sans doute pour dire que la mobilité en général est un élément favorisant naturellement la connaissance des langues, surtout lorsque l’étudiant se trouve en immersion, à condition que ce ne soit pas dans un environnement francophone, évidemment ! Si je me permets de rappeler cette évidence, c’est qu’une part non négligeable de nos étudiants en Érasmus (près de sept pour cent) vont en France et que la plupart des co-organisations d’études, parmi lesquelles figurent notamment les codiplomations, concernent des collaborations au sein de notre Communauté Wallonie-Bruxelles. Votre question porte davantage sur la coorganisation d’études plutôt que sur la mobilité individuelle et volontaire des étudiants. Actuellement, ces collaborations tant intra- qu’extracommunautaires reposent sur la législation issue du processus de Bologne. Le décret du 31 mars 2004, à la fin de l’avant-dernière législature, consacre un chapitre entier à ce sujet dans la partie relative à l’enseignement supérieur. Je citerai un extrait de l’article 29, paragraphe 2 : « Les établissements d’enseignement supérieur peuvent conclure entre eux des conventions de coopération pour l’organisation d’études relevant des domaines auxquels s’étend leur habilitation, et pour la collation des grades académiques qui les sanctionnent. Les établissements peuvent délivrer conjointement le diplôme attestant de ce grade académique. » Cette disposition innovante, voire révolutionnaire à l’époque, est à la source de ce que l’on appelle désormais chez nous la codiplomation, terme d’origine québécoise, ou joint degree en jargon européen. Les nuances exprimées entre codiplomation, bidiplomation, diplômes multiples ou diplômes conjoints résultent essentiellement des différences formelles entre les réglementations régissant les études et les établissements concernés. Malgré cette opportunité et l’intérêt réel exprimé par de nombreux acteurs de l’enseignement supérieur, force est de constater que le chemin qu’ont dû suivre les pionniers de ces projets n’a pas conduit immédiatement à des solutions simples, directes, faciles à mettre en oeuvre et légères à gérer. Je citerai trois exemples pour illustrer mon propos. Premièrement, il faut rédiger une convention particulière et annuelle pour chaque collaboration en matière d’organisation d’études, reprenant entre autres le règlement des études et les règles du jury spécifique, les conditions d’admission, les procédures d’inscription, les répartitions financières, etc. Deuxièmement, il faut concilier les contraintes de législation et de réglementation parfois contradictoires, notamment en matière d’accès aux études et de délivrance de titres, que ce soit entre communautés belges ou, au sein de notre propre communauté, entre établissements de type différent –universités, hautes écoles, écoles supérieures des arts. Troisièmement, il faut sortir de la concurrence objective en matière de droits d’inscription, de niveaux de subvention ou de taux d’encadrement sensiblement différents d’un système à l’autre, spécifiquement pour des co-organisations entre établissements proches. C’est le cas pour les collaborations intrabelges. Je n’évoquerai pas le travail de fond, moins administratif, de la conception de programmes d’études conjoints et l’adaptation de nos modes de travail et de pensées aux traditions des autres partenaires. Les cas de coordination d’études sont encore peu nombreux et les situations menant à une véritable codiplomation font figure d’exception. L’administration ne dispose pas encore de statistiques spécifiques à ce sujet mais leur collecte est en cours et permettra d’argumenter une modification réglementaire actuellement à l’étude. En effet, l’engouement pour la codiplomation au sens large est réel et de nombreux responsables de programmes d’études envisagent de s’y inscrire dans un proche avenir. Relevons certains exemples qui, par ingénierie administrative, tentent de se libérer de nos modèles stricts. Parmi eux, citons le Master européen ou le consortium Erasmus Mundus. Dès lors, il est apparu urgent de réfléchir et de revoir notre législation à la lumière des expériences vécues et de l’évolution des situations dans les autres pays ou communautés. La solution ne semble pas reposer sur de nouveaux accords internationaux ou entre nos communautés mais plutôt sur un assouplissement encadré de nos réglementations, encore fortement conçues pour un système autonome et fermé. Cette demande émane tant des responsables de nos établissements d’enseignement supérieur que de l’administration et des commissaires chargés du contrôle des institutions. Il s’agit à l’origine d’un groupe de travail technique du Cref. Celui-ci a rédigé un brouillon de décret visant à encadrer le fonctionnement des différentes formes de codiplomation, de la simple co-organisation sous l’égide de l’habilitation d’un des partenaires jusqu’à la réalisation de programmes communs intégrés avec délivrance de diplômes conjoints, voire multiples. Vu la dimension transversale de cette question et les contacts étroits que mes collaborateurs entretiennent avec les divers établissements d’enseignement supérieur et leurs conseils, ce projet est actuellement repris par un groupe de travail constitué de représentants de tous les types d’établissement et coordonné par l’administration. Il est aujourd’hui dans sa phase finale de rédaction. Une question technique subsiste néanmoins : ce projet fera-t-il l’objet d’un décret spécifique fondé sur la législation actuelle – relativement complexe du point de vue technique – ou les dispositions qu’il contient seront-elles intégrées à celles issues de la table ronde, ce qui donnerait un résultat plus lisible ? Dans un cas comme dans l’autre, la proposition sera rapidement présentée au gouvernement. Dans l’attente de cette évolution législative, je vous confirme, ainsi qu’à tous les parlementaires, que les projets actuels sont parfaitement conformes aux législations en vigueur et que toutes les normes de qualité et de reconnaissance des diplômes s’appliquent de manière similaire, qu’il s’agisse de co-organisations ou de situations plus traditionnelles. En particulier, les titres délivrés restent automatiquement reconnus tant en Europe que dans nos trois communautés. Nous y reviendrons dans les meilleurs délais, dès l’obtention d’un accord du gouvernement et après consultation du Conseil d’État.
M. Jean-Luc Crucke (MR). – Je remercie le ministre pour sa réponse. La législation actuelle offre certes des opportunités mais il est indispensable de la modifier et le ministre s’y emploie manifestement. Il y a loin de la coupe aux lèvres et je ne peux que réitérer mon plaidoyer en faveur d’une simplification car le multilinguisme sera un passeport indispensable aux générations à venir. Le multilinguisme suppose des formations élevées sur le plan intellectuel et une bonne connaissance des langues. Qui sait, cette modification nous permettra peut-être d’atteindre le Graal ? C’est tout le mal que je souhaite au ministre. Nous en rediscuterons quand il nous soumettra un projet de décret. En tout cas, je suis certain que M. Marcourt et les membres de son cabinet suivent attentivement le dossier et s’efforcent de récolter des statistiques indiquant le chemin restant à parcourir.
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