lundi 21 mars 2005

Question orale de Jean-Luc CRUCKE au Ministre ANTOINE sur "Réfome du championnat belge de football et la survie des clubs wallons"

M. Jean-Luc Crucke (MR). – Ce dossier rebondit régulièrement et allie deux thématiques très proches, bien qu’elles puissent être interprétées de façon fort différente. On peut très bien se dire que, quel que soit le système choisi dans le cadre du Championnat de Belgique pour les Divisions 1 et 2, le football wallon doit pouvoir vivre et être en pleine forme. Or, si les modifications annoncées sont effectivement appliquées, les clubs wallons se trouveront en très grande difficulté. Je suppose, monsieur le ministre, que vous avez vu hier les images des joueurs du Standard qui sont montés sur le terrain vêtus d’un tee-shirt montrant clairement qu’ils s’opposent à un championnat prévoyant un système de play-offs, mais ce n’est qu’une partie du problème. Ce dossier évolue : on nous annonce d’abord dix-huit clubs sans play-offs, ensuite seize clubs avec play-offs et une clé selon laquelle – c’est surréaliste – un descendant de division 1 ne serait connu qu’après trois saisons. J’ai vu votre interview et j’ai également constaté qu’une partie des questions que je vous pose aujourd’hui ont trouvé réponse dans les journaux de ce week-end. Si l’on met en place un tel système, on aura une compétition fermée. Vous l’avez dit vous-même, cela va à l’encontre des règles de l’UEFA et ne correspond pas vraiment à l’éthique que l’on aimerait voir régner dans le sport. Cette situation n’est même pas comparable à ce qui se passe dans d’autres championnats européens. La Commission nationale d’études ne s’est finalement pas prononcée ce week-end. Les résultats du week-end dernier ont peut-être enchanté les standardmen mais si Charleroi se retrouve en Division 2, cette dernière deviendra une division wallonne. On y a déjà six clubs et j’espère qu’Eupen réussira à se sauver. Sinon, avec les nouvelles mesures envisagées, on risque d’être nombreux dans une division qui deviendra le mouroir du football, où le privé ne voudra plus investir. Or, un des maux du football wallon est déjà que le privé n’y investit pas suffisamment. M. Thans nous donnera peut-être la réponse dans sa vision des choses. En tout cas, je vous invite à lire dans le journal De Morgen de ce week-end l’analyse de la situation qui y est faite.

M. André Antoine, vice-président et ministre du Budget, des Finances et des Sports. – Je me félicite d’avoir sollicité l’avis d’un groupe d’experts unanimement salué par la presse et différents dirigeants de clubs. Cela nous offre une qualité d’écoute que nous n’avons jamais connue dans le monde du football professionnel, semi-amateur ou amateur. Bien avant la question posée par M. Crucke, j’ai rencontré, voici une dizaine de jours, des représentants des clubs de Division 2 de Tournai, Mons, Tubize, Boussu-Dour, Visé et Molenbeek. Inquiets de la relative indifférence du monde politique à leur égard, ils avaient eux-mêmes souhaité me rencontrer. Je rappelle qu’aucune position n’a été prise du côté flamand ou germanophone et qu’il y a eu très peu de réactions au niveau fédéral. La requête de ces clubs était très simple. Ils nous demandaient de les aider à procéder à l’analyse juridique des suggestions défendues par la Pro League, qui devaient être soumises à l’Union belge, parce qu’ils n’avaient pas les moyens financiers de consulter eux-mêmes des avocats de renom pour les éclairer et organiser leur défense. Nous avons eu l’occasion de passer un après-midi ensemble en présence de M. Thans et d’autres personnes. Conformément à mon engagement, j’ai consulté notre cabinet d’avocats, Philippe and Partners, désigné en son temps après un marché public pour une consultation juridique, qui dispose d’avocats spécialisés, dont un professeur de droit sportif à l’université. Les résultats de cette consultation devaient m’être remis pour le vendredi 11 février, dernier jour avant la tenue du Comité exécutif. Nous devions en effet pouvoir transmettre aux différents clubs et à la fédération les conclusions de cette consultation juridique qui a d’ailleurs joué un rôle important dans le report de la réunion de la Commission nationale d’études. Dès le vendredi soir, j’ai transmis les informations aux différents clubs et à M. De Keersmaeker, président de l’Union belge, afin qu’ils puissent apprécier l’analyse juridique du bureau d’avocats. J’ai également voulu réagir en légaliste face à des opérations qui méconnaissent certaines dispositions, font fi du fair-play dont nous avons tant parlé voici peu et conditionnent l’avenir de nombreux sportifs. Selon le rapport du bureau d’avocats, il n’appartient pas à la Pro League d’organiser le fonctionnement des Divisions 1 et 2 du championnat. Cette compétence revient exclusivement à l’Union belge. Plusieurs possibilités existent s’il y a modification de la procédure et du déroulement du championnat. Ainsi, il fallait tout d’abord alerter le directeur général de l’Union belge avant le 1er mars, ce qui n’a pas été le cas. Le Comité exécutif devait dès lors pouvoir se saisir de la question. Ce comité étant composé de vingt-quatre membres émanant principalement des clubs de Division 1, on pouvait présumer de son verdict puisque les décisions se prennent à la majorité simple plus une voix. L’Union belge ne peut donner délégation ni à la Pro League, ni à la Ligue nationale, pour prendre des initiatives réglementaires. S’il s’agit de modifier des principes du championnat et non des modalités, il faut soumettre la modification du règlement à la Commission nationale d’étude, dans un premier temps, et ensuite à l’Assemblée générale qui est programmée pour le mois de juin. La Commission nationale d’étude (CNE), en quelque sorte le parlement de l’Union belge, et l’Assemblée générale ne peuvent prendre de délibération qu’à la majorité qualifiée de quatre-vingtun pour cent des votants. La Pro League détient 19,85 % des voix, la Ligue nationale de deuxième division 13,24 %, la Ligue nationale de troisième division 11,76 % et les promotions 11,76 %. La majorité des voix, 43,39 %, est détenue par les divisions inférieures et provinciales. Par conséquent, si les clubs de deuxième division parviennent à rallier les clubs de troisième division, de promotion et de provinciale, la Pro League ne pourra en aucune manière imposer son point de vue pour l’organisation du championnat de première ou de deuxième division. Si le Comité exécutif prenait une décision négative, les clubs de deuxième division disposeraient même de la capacité de tierce opposition, ce qui ramènerait le dossier au Comité exécutif. Cela a l’air d’un simple élément de procédure mais le calendrier joue aussi car il y a un décompte très strict avec les deux réunions de la CNE et de l’Assemblée générale. Toute perte de temps risque même de faire échouer la procédure. Si l’Assemblée générale donnait raison à la Pro League, les clubs de deuxième division – il est quasiment établi que même la fédération francophone ne serait pas habilitée à agir – pourraient introduire des recours devant le Conseil de la concurrence, devant la Commission européenne et, en référé, devant les tribunaux de première instance. Le cabinet Philippe&Partners déconseille aux clubs de deuxième division de saisir le Conseil de la concurrence ou la Commission européenne car ces deux instances procèdent par des sanctions financières parfois très lourdes, ce qui les amènerait à être tenus pour responsables d’un appauvrissement de l’Union belge et donc, de leur propre situation. Le cabinet Philippe & Partners est d’avis qu’il vaudrait mieux agir après l’Assemblée générale, pour autant qu’elle prenne une décision défavorable aux clubs de deuxième division. S’il devait y avoir une décision du Conseil de la concurrence, quand bien même elle serait négative, ils auraient la possibilité d’aller en Cour d’appel. Nous pourrions intervenir à partir de lapplication des principes de concurrence et d’égalité. Le Traité de fonctionnement de l’Union européenne précise quelques éléments. Dans le célèbre arrêt « Motoe » du 1er juillet 2008, la Cour de justice européenne a clairement indiqué que l’activité sportive était une activité économique. Le caractère d’extranéité, à savoir les conséquences de la décision sur le plan international, doit être envisagé. Or c’est manifestement le cas puisqu’en accédant à la division 1, les clubs ont accès aux compétitions des Coupes UFA ou de Champions League. En outre, l’incidence économique doit être matérialisée. Elle peut l’être, d’une part, avec le parachute de 1 250 000 euros, qui bien que n’étant pas critiqué par tous les clubs de division 2, n’a plus rien à voir avec la compétition sportive. Il s’agit bel et bien d’un incitant financier. D’autre part, l’activité économique peut être matérialisée par la différence existant entre les divisions 1 et 2. Les droits de télévision, le sponsoring, le prix des tickets et le traitement des joueurs diffèrent. L’enjeu économique est donc manifeste. Pour toutes ces raisons, notre cabinet d’avocat estime qu’il y a matière à plaider la violation des principes d’égalité et de non-discrimination. On pourrait y ajouter la législation belge qui va dans ce sens. L’étude va plus loin car elle ajoute cet élément qui a pesé lourdement dans la balance : la proposition de la Pro Ligue pourrait s’assimiler à une forme d’entente des clubs pour organiser eux-mêmes et se protéger d’ une demande d’éventuelles indemnités. J’ai appelé cela le huis-clos footbalistique. Cela pourrait être qualifié d’abus de position dominante par l’organisation d’un cartel. Cela pose de graves problèmes. Aucun niveau de pouvoir n’a réalisé une telle étude que nous avons totalement financée et que nous mettons à disposition des clubs. Nous organiserons les rencontres qui s’imposent entre le cabinet Philippe&Partners,et les clubs de division 2 pour expliquer leurs droits. J’ai transmis ce document à l’Union belge, les arguments déployés ont fait craindre à la Pro Ligue une réaction du Conseil de la concurrence et elle a décidé de reporter sine die la compétition. C’est exceptionnel. La convocation portait sur une délibération et nous avons dû travailler dans l’urgence du mercredi jusqu’au vendredi avant le congé de Carnaval. De la sorte, nous avons mis en place des garanties pour les clubs de division 2. Voilà pour l’organisation – ou plus exactement la désorganisation – du championnat. M. Philippe Saint-Jean a récemment souligné dans la presse la nécessité de renforcer le dispositif de formation et de mettre à disposition des infrastructures adaptées. Cela nous amènerait à revoir la manière dont les aides sont accordées par la Région wallonne. J’ai indiqué que nous étions prêts à intervenir financièrement s’il s’avérait que les clubs que j’ai cités risquaient de ne pas obtenir de reconduction de leur licence et pour autant qu’il y ait des contreparties communautaires en termes de formation et de sensibilisation des jeunes. Tous les clubs cités ne jouissent pas des mêmes moyens financiers. Notre intervention ne se ferait que sur la base d’un rapport de la cellule d’information financière. Nous avions en son temps procédé de la sorte pour Mouscron. Par ailleurs, notre aide n’a de sens que si elle s’inscrit dans la durée. Nous ne sommes pas là pour venir à la rescousse d’une politique de transfert hasardeuse. De tous les gouvernements, c’est le nôtre qui a été le plus prompt à soutenir les clubs de 2e division. L’affaire ne fait que commencer.

M. Jean-Luc Crucke (MR). – Notre communauté a hérité d’un football dans un bien triste état. Vous avez raison de préciser que le dossier est loin d’être clos. Manifestement, les tribunaux auront à arbitrer un problème communautaire, qu’on le veuille ou non. Le rapport de force avec la Communauté flamande est d’autant plus patent qu’il ne restera plus qu’un seul club wallon en 1e division. Nous sommes particulièrement fragiles. L’étude juridique a été sollicitée à bon escient. Je ne peux que reconnaître la qualité et la rapidité du travail réalisé. Enfin, on ne parle plus pour l’instant de saisir l’UEFA. Cela renforcerait l’aspect extraterritorial du problème.

M. André Antoine, vice-président et ministre du Budget, des Finances et des Sports. – Cette possibilité n’est pas écartée. Je ne voulais pas fâcher l’Union belge, qui est la première responsable. Les problèmes communautaires ne sont pas absents de mes pensées, mais j’ai préféré ne pas les évoquer. Je me suis exprimé publiquement afin que tous les décideurs soient informés de l’étude. En effet, tous ne l’ont pas reçue. Je ne l’ai par exemple envoyée ni à Anderlecht ni à Bruges. Voilà un cabinet d’avocats qui est bien connu et qui a pignon sur rue à Bruxelles et sur la scène internationale. Il lui est donc impossible d’évacuer le problème aussi simplement. Il convient de se montrer moins communautaire. J’avais pris des contacts avec mon collègue Filip Muyters en espérant qu’il intervienne lui aussi. Les clubs flamands de deuxième division devraient en effet eux aussi protester. J’espérais donc une réaction d’égalité et de fair-play. Comment voulez-vous plaider en faveur du fair-play quand les dirigeants euxmêmes ne le respectent pas entre eux ? M. Muyters est manifestement plus embarrassé que moi parce que de grands clubs flamands s’accommodent parfaitement de la réforme. J’ai pour ma part fait fi de toute forme de sympathie personnelle. Des principes élémentaires de fair-play et d’égalité des chances ont en effet été bafoués. J’espère que nous n’irons pas devant les tribunaux. Ce serait dévastateur pour l’image du football belge ! Imaginez des clubs dépendant d’une fédération pour l’organisation, pour les sanctions et pour le calendrier contester cette même fédération devant les tribunaux, avec les longues procédures et les appels que cela suppose. J’espère donc que le bon sens va revenir et que notre championnat sera identique à tous les autres, c’est-à-dire basé sur la vérité d’une saison et non de plusieurs saisons cumulées.
M. Jean-Luc Crucke (MR). – J’exprime les mêmes voeux que le ministre mais je n’en suis pas moins plus sceptique que lui. Je ne pense pas que les Flamands feront marche arrière dans ce dossier et que certains cherchent à aller devant les tribunaux pour des raisons extra-sportives. Demeure le problème fondamental de désaffection du football en Wallonie. Il m’inquiète beaucoup plus. Des clubs wallons de deuxième division, parfois établis dans de grandes villes, comptent en moyenne 2 000 spectateurs par match. Il leur est impossible de tenir le coup dans ces conditions. Allez voir un match à Courtrai ou à Waregem et vous y constaterez la présence de 8 000 à 10 000 spectateurs. Ces clubs ont en effet changé de politique.

M. André Antoine, vice-président et ministre du Budget, des Finances et des Sports. – En 1e division, il y a 78 000 spectateurs par week-end. Le manque d’assiduité dans les stades règne partout, y compris en Flandre. En même temps, la télévision diffuse tous les jours du football.

M. Jean-Luc Crucke (MR). – Sans généraliser, en Flandre, on considère davantage le spectateur comme un client. Dans ce domaine, le Standard a pris des mesures intéressantes. Quand vous offrez la gratuité à des écoles ou aux épouses, vous faites venir dans votre stade un autre public. Chez nous, quel que soit l’échelon, chaque place est payante. Ce sport populaire l’est donc de moins en moins. C’est pourquoi j’ai lié l’avenir du football en Communauté française aux problèmes juridiques que vous avez évoqués. Nous verrons de quoi l’avenir sera fait.

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