jeudi 28 avril 2005

Interpellation de Jean-Luc CRUCKE au Ministre ANTOINE sur "Situation financière catastrophique du Country Hall"

Jean-Luc Crucke (MR). – Je reviens sur ce sujet préoccupant déjà abordé trop brièvement dans une question d’actualité,. Je suppose, monsieur le ministre, que vous avez lu le dernier article de La Libre qui faisait état de pertes de 146 000 euros au Country Hall. L’histoire avait d’emblée mal commencé. Je le regrette, car je suis de ceux qui pensent que Liège mérite une salle de sports et une salle culturelle de grande envergure. Cet outil est indispensable au développement d’une ville comme Liège, mais aussi de la Communauté française et de la Région wallonne. Ce n’est donc pas de gaieté de coeur que j’aborde le problème du Country Hall qui connaît d’importantes difficultés financières. Je rappelle que cette société ne fait pas appel aux capitaux privés. En 1992, la Communauté française a racheté au Standard de Liège ce qui est devenu le Centre Adeps du domaine du Bois Saint-Jean, avec une convention emphytéotique de cinquante ans – ce n’est pas un cas unique – au profit de la SLF dont La Libre dit qu’elle devrait être incessamment présidée par votre ex-collègue M. Daerden. Tout a mal commencé, disais-je. En effet, un investissement de quinze millions d’euros avait été initialement prévu pour effectuer des travaux et rendre à cette salle son caractère culturel et sportif de prestige. En réalité, la facture s’est élevée à plus de 34 millions d’euros : 9,2 millions à charge de la Région wallonne et 25 millions couverts par un prêt souscrit par SLF Finances. La gestion de l’ensemble a été confiée à la fameuse SA Gestion du Bois Saint-Jean dans laquelle on retrouve, outre la SLF, la province de Liège. Je le répète, les difficultés ne sont pas nouvelles. En 2007, j’avais déjà interpellé votre prédécesseur sur le déficit de 2006 qui s’élevait à 768 000 euros. Je ne voudrais pas alourdir le trait mais les dissensions au sein de la famille socialiste, entre M. Eerdekens et M. Daerden, étaient criantes, à l’époque. Deux visions s’affrontaient sur ce dossier. Malheureusement pour les finances de la Communauté française, c’est la « version Daerden » qui l’a emporté. Selon les termes d’un accord intervenu le 16 octobre 2007, la Communauté française deviendra actionnaire majoritaire – la SLF et la province conservant une action ; le bail emphytéotique de cinquante ans sera transformé en bail locatif de 25 ans ; le versement annuel d’un million d’euros durant 25 ans, sera assuré – du velours pour la SLF. La contrepartie sera de disposer immédiatement de la jouissance d’un hall annexe de 750 places, de bâtiments administratifs, d’une cafétéria et de cinq terrains de tennis, ainsi que l’occupation libre, cinq jours par an, du City Hall. Enfin, l’emprunt contracté par la SLF pour la réalisation des travaux sera garanti. L’éclaircie financière sera de courte durée puisque les comptes de 2010 affichent une perte de 140 000 euros. Pour les exercices 2008, 2009 et 2010, que donne le compte de résultats en termes d’actif, de passif, de recettes et de dépenses ? Nous trouverons peut-être dans ces chiffres une explication du pourquoi les deux partenaires privés ont quitté le projet. Et qui comblera ce déficit ? En séance plénière, vous avez annoncé que le désengagement de la Communauté française lui coûterait trop cher, à cause de clauses de la convention 2007. De quelles clauses s’agit-il ? À l’époque, des observations ont-elles été formulées ? L’administration, des parlementaires ou des experts vous ont-ils averti des risques et engagé à ne pas signer cet accord ? Vous nous avez expliqué comment vous aviez été informé de la situation actuelle. Comment la Communauté française est-elle représentée dans la SA Gestion du Bois Saint-Jean ? Pour rappel, les trois administrateurs libéraux ont démissionné de leur mandat. On ne peut donc pas leur reprocher de ne pas avoir pressenti le danger. Qui nous représente dans cette société anonyme ? Des réunions du conseil d’administration et des assemblées générales se tiennent-elles régulièrement ? Les rapports du conseil d’administration sontils communiqués au ministre et reflètent-ils la situation que vous venez de découvrir ? Le ministre a-t-il été informé des problèmes ? Sinon, pourquoi ne l’a-t-il pas été ? Je comprends qu’un tel dossier vous gêne en tant que ministre du Budget, des Finances et des Sports. Vous avez évoqué une différence d’interprétation entre M. Rothschild, directeur juridique de l’administration, et la direction générale des sports. Comment ce dossier a-t-il pu donner lieu à une telle opposition entre deux administrations ? L’amour du sport ne doit pas occulter les aspects budgétaires. Vous aviez, à juste titre, sollicité une entrevue avec la CIF ; elle a finalement eu lieu le 5 avril. Pouvez-vous nous communiquer le contenu de cet entretien ? Des documents ont-ils été déposés ? Certains document demandés n’ont-ils pas encore été communiqués ? Des irrégularités ontelles été décelées au cours de cette réunion et, le cas échéant, le parquet a-t-il été saisi ? Vous avez aussi demandé un audit au secrétaire général de la Communauté française. Confirmez-vous que cette audit est toujours en cours et, dans l’affirmative, quelle est son échéance pour le dépôt du rapport ? Nous aimerions conserver un contrôle sur ce dossier. Un accord avait été conclu en son temps pour que le personnel de l’Adeps soit repris par la société anonyme ou, en d’autres termes, que cette société assume les dépenses relatives à ce personnel. Qu’est-il advenu de ces travailleurs ? Ont-ils été déplacés vers un autre centre ? Cette obligation, qui représente une charge supplémentaire pour la Communauté française, a-t-elle été respectée ? Vu le non-respect des engagements financiers on peut craindre que la même attitude ait été adoptée envers le personnel !

le président. – La parole est à M. Noiret.

Christian Noiret (ECOLO). – Au départ, j’estimais qu’il fallait laisser un peu de temps au ministre qui avait déjà été interpellé sur ce dossier voici quatre semaines. Aujourd’hui, j’estime que la question n’est pas prématurée et j’ai décidé de me joindre à l’interpellation de M. Crucke. En effet, cette affaire dure depuis des années et, en décembre 2009, sous cette législature, des questions avaient déjà été posées en commission. Certains éléments ramènent ce dossier à l’ordre du jour tant de la presse que de notre assemblée. Il s’agit notamment du départ des partenaires privés sur lesquels la stratégie précédente fondait beaucoup d’espoir. Il s’agit aussi de l’existence d’un conseil d’administration incomplet, dû entre autres à la démission des administrateurs du MR. Il s’agit encore de la représentativité actuelle de ce conseil d’administration. En effet les élections de 2009 ont créé de nouveaux équilibres politiques dans la Communauté française. Dans ce contexte le conseil d’administration est-il encore représentatif et démocratique ? Quels sont les mandats de ses membres et de quelle manière rendent-ils des comptes ? Le rapport d’activités n’étant pas terminé, les pertes financières ne peuvent pas être confirmées, mais les documents laissent penser qu’elles sont considérables et que le capital est gravement entamé. Si nos craintes se révèlent fondées, la viabilité de ce projet sera remise en cause. L’assemblée générale et le conseil d’administration seront dès lors amenés à se prononcer sur la continuité de l’activité. Un dernier élément qui aiguise notre vigilance et nous incite à agir au-delà de l’interpellation est la difficulté manifeste de la Communauté française pendant près d’un an à être respectée en tant qu’actionnaire principal et quasiment unique, la Province de Liège et la SLF ne possédant plus grand chose de cette société. En 2009 déjà, le ministre nous avait répondu que la CIF prendrait le dossier en mains. Des problèmes se sont posés, mais il semble qu’actuellement un modus operandi ait été adopté en vue de les gérer. J’espère qu’un rapport complet sera rédigé, envisageant les aspects financiers et organisationnels, comme la composition du conseil d’administration ou d’autres instances qui doit être revue. Il me semble légitime que la Communauté française soit représentée, dans le respect des différents équilibres, afin de permettre la mise en place d’un plan d’entreprise sérieux, contrairement aux plans précédents. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de constats ; nous devons passer à l’action. C’est pourquoi nous demandons l’élaboration d’un calendrier des différentes étapes, la rédaction d’un rapport des modifications envisagées, la mise en place d’un conseil d’administration représentatif et respectueux de nos équilibres ainsi que la réalisation d’un plan d’entreprise permettant d’envisager sereinement l’avenir de cet outil. Toutes les forces politiques reconnaissent la nécessité de disposer d’un plan efficace en Communauté française et plus particulièrement pour la région liégeoise.

André Antoine, vice-président et ministre du Budget, des Finances et des Sports. – Je regrette de ne pas disposer à l’heure actuelle des documents nécessaires pour étayer ma réponse. Je confirme toutefois l’utilité d’une telle infrastructure en région liégeoise. Personne ne peut contester la dynamique sportive qui anime la Ville de Liège et sa province. Malheureusement, nous sommes confrontés à l’histoire et au mode de gestion de ce dossier. Nous nous trouvons actuellement dans une phase intermédiaire de la procédure. Je vous communique les comptes de résultats des années 2008 à 2010. En 2008, les recettes se sont élevées à 2 181 236 euros et les dépenses à 2 385 453 euros, soit un déficit de 341 011 euros. En 2009, les recettes s’établissaient à 2 344 151 euros et les dépenses à 2 394 927 euros, soit un déficit 34 665 euros. En 2010, les recettes étaient de 2 233 132 euros et les dépenses de 2 367 884 euros, soit un déficit de 135 570 euros. Cette institution étant une société anonyme, elle est soumise aux règles du Code des sociétés. Sans vouloir présager des conclusions des audits en cours, le bilan financier de l’institution nous incite à craindre la dissolution de la société anonyme. Nous avons sollicité un double audit qui cette fois fonctionne : d’un côté, à la Cellule d’Information Financière (CIF), compétente pour tous les modes de financements alternatifs, ce qui est le cas ici ; de l’autre, au service d’audit interne à la Communauté française. Plusieurs directions ont été consultées ou impliquées. L’équipe de Jean- Michel Cassiers, avec la collaboration de son secrétaire général M. Frédéric Delcor, a notamment été invitée à regrouper l’ensemble des informations et à accompagner la CIF dans son travail de contrôle et de recommandations dans la constitution et la gestion de ce dossier. Quant au désengagement de la Communauté française, j’avais d’emblée manifesté mon inquiétude à propos de ce dossier en 2009, lors des questions de MM. Noiret et Langendries. En suivant les recommandations de certains, j’avais consulté le service juridique de M. Rothschild, le 6 novembre 2009. Sans vouloir polémiquer, je rappelle que le décret de 2004 oblige la Région wallonne à faire évaluer les OIP par un contrôle externe, ce qui implique des frais. La conclusion de l’étude de ce service juridique était que le désengagement de la Communauté française apparaissait comme extrêmement défavorable. La cause principale était la garantie de bonne fin de prêt entre la SLF et la SLF Finance pour un montant de 25 millions d’euros. Nous devrions également intégrer les subsides de la Région wallonne qui sont eux-mêmes conditionnés aux projets sportifs. L’absence de ces subsides entraînerait le remboursement de la subvention à la Région wallonne. J’ai ensuite sollicité à deux reprises une analyse du service des sports. Les deux rapports qui nous ont été transmis étaient particulièrement rassurants sur la gestion. Cela explique les informations contradictoires qui remontaient vers le gouvernement ou le ministre titulaire. En qualité d’actionnaire majoritaire de la société de gestion, la Communauté française, qui détient 613 parts sur 615, devrait prendre en charge la totalité des dépenses, ce qui signifie un doublement de notre intervention actuelle qui est déjà de un million d’euros. Si nous devions constater que la province s’en désintéresse et qu’il n’y a plus de partenaire privé, nous serions alors seuls maîtres à bord, ce qui représenterait évidemment un coût net pour notre budget, pour autant que nous voulions maintenir cet outil. J’en viens au projet de note du 26 septembre au gouvernement. Dans son avis, l’Inspection des finances s’interrogeait sur la capacité du club de basket-ball de Liège, qui est du reste l’occupant principal de l’infrastructure, à assumer la gestion et la location de cette salle polyvalente, et sur l’intérêt du dossier pour la Communauté française, eu égard aux montants en jeu. Je suis intervenu le 23 septembre 2009, en consultant les différents services de la Communauté française. Les représentants de la Communauté française dans le comité de gestion étaient au nombre de six : M. Walther Herben, président, M. Benoît Bogaert, vice-président, M. Alain Laitat, par ailleurs directeur général adjoint du sport, M. Christian Peeters, M. André Stein, fiscaliste et président de la fédération de tennis, et M. Stéphane Lefèvre, administrateurs. MM. Stein et Lefèvre ont démissionné. Ils n’ont pas été remplacés malgré une demande expresse de la société de gestion. Cette demande a été réitérée en mai 2010 auprès de M. Reynders, afin qu’il désigne deux nouveaux administrateurs, conformément à notre pratique politique. J’en arrive aux questions relatives aux lectures contradictoires. La direction générale des sports tenait des propos rassurants, alors que les premières analyses financières de la CIF et du service juridique étaient pessimistes. C’est pourquoi j’ai demandé à la CIF de se rendre sur les lieux afin de consulter les documents nécessaires, ce qui a été fait. Le service d’audit a également planché sur ce dossier. Les conclusions ne m’ont pas encore été communiquées. Je crois qu’il faut faire preuve d’une grande objectivité, en évitant de céder aux commentaires parus dans la presse ou de se laisser entraîner dans une spirale à l’égard d’une personne. Seule l’existence du hall m’importe. La question est de savoir comment limiter notre implication financière et trouver un mode de gestion efficace. Dès que j’aurai reçu ces deux rapports, je saisirai le gouvernement. Les conclusions seront assorties de propositions qui pourraient également porter sur la structure du conseil d’administration qui est de toute façon incomplet. Le décalage entre les élections et le renouvellement d’un conseil d’administration est toujours frustrant. Ces renouvellements interviennent parfois à mi-législature, de sorte que la représentation démocratique du parlement n’est plus reflétée pendant certaines périodes. Ce n’est pas l’apanage du Domaine sportif de Bois Saint-Jean. Compte tenu de la situation et de l’incomplétude du conseil d’administration, votre souhait, monsieur Noiret, semble justifié. J’ai demandé à M. Delcor que diligence soit faite pour ce dossier, d’autant plus que les deux entreprises privées se sont retirées. Aujourd’hui, le Basket Club Standard de Liège ne veut ni ne peut payer son loyer. Le domaine sportif poursuit le club pour le recouvrement des sommes dues. Cette situation pose aussi un problème au niveau sportif. J’ai le sentiment que notre sport francophone retrouve des couleurs aujourd’hui. Je ne souhaite pas que ce renouveau soit entaché ou griffé par ces dossiers. Les erreurs font partie de la vie. Il appartient à notre gouvernement de les redresser dans les intérêts des sportifs, de la région liégeoise et des finances de la Communauté française.

Jean-Luc Crucke (MR). – Les nouvelles ne sont pas réjouissantes. Comment pourraient-elles l’être ? Vous avez rappelé à juste titre la composition de cette société anonyme. En termes de droit commercial mais aussi de responsabilités, cette constitution a son importance. Malgré les déficits répétitifs, la cellule économique des tribunaux de commerce n’a pas réagi. Un déficit moindre aurait pourtant pu provoquer une intervention et un relais vers le Parquet. Je suis favorable à l’audit interne. Nous aurions peut-être dû externaliser ce service. Je ne souhaite pas contribuer à cette polémique. Vous dites que votre concertation avec M. Hamaide, exdirecteur des cabinets de M. Daerden, a débouché sur deux rapports positifs .

André Antoine, vice-président et ministre du Budget, des Finances et des Sports. – M. Hamaide était le chef de cabinet adjoint de M. Eerdekens.

Jean-Luc Crucke (MR). – Il n’en reste pas moins proche de la famille socialiste. Je ne comprends pas qu’une personne investie de tant de responsabilités ait pu vous rassurer et vous rendre un rapport positif. M. Rothschild a bien expliqué que cette structure n’est pas si complexe. La compréhension de la situation ne nécessitait pas une grande connaissance du droit. Je ne veux pas vous provoquer mais sachez que je ne fermerai pas les yeux. Je ne me contenterai pas d’une explication approximative. Chacun doit prendre ses responsabilités. On n’occupe pas de telles fonctions dans l’administration lorsqu’on est incapable de les assumer. Vous nous devez une explication quand vous disposerez de tous les éléments. Je souhaite que le gouvernement se penche sérieusement sur ce dossier et évalue les responsabilités, volontaires ou involontaires, de ceux qui ont aiguillé erronément la Communauté française.

le président. – La parole est à M. Noiret.

Christian Noiret (ECOLO). – Même si l’audit est en cours, pourriez-vous nous indiquer approximativement le moment où nous pourrons revenir sur ce dossier en commission ?

André Antoine, vice-président et ministre du Budget, des Finances et des Sports. – Sur le volet administratif, je pourrais être prêt dans un mois. Cependant, ce genre de dossier est traité en réunion inter-cabinet. Je voudrais en effet y ajouter des recommandations et des conclusions. Aussi je ne pourrai revenir devant vous avant que le gouvernement n’ait délibéré sur l’ensemble du dossier. Il souhaite trouver la solution la plus heureuse possible.

Jean-Luc Crucke (MR). – Je comprends la difficulté à laquelle vous êtes confronté. Le parlement souhaite trouver une solution mais il souhaite aussi que les responsabilités soient assumées, sinon ce serait trop facile.

le président. – L’incident est clos.

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