mercredi 30 novembre 2005

Question orale de Jean-Luc CRUCKE au Ministre Philippe HENRY sur "Faut-il abandonner la campagne?"

M. le Président. L'ordre du jour appelle la question orale de M. Crucke à M. Henry, Ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du Territoire et de la Mobilité, sur « faut-il abandonner la campagne?».
La campagne électorale, c'est ça que vous voulez dire?

M. Crucke (MR). Je ne suis pas encore en campagne, mais si vous me dites qu'elle arrive, je pourrais m'y préparer, dans ce cas-là, je n'abandonnerais pas la campagne, je vous rassure !

M. le Président
. La parole est à M. Crucke pour poser sa question.

M. Crucke (MR). Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, chers collègues, je voulais questionner M. le Ministre suite, au demeurant, à un article rédigé par la CPDT (Conférence Permanente du Développement Territorial) , chargé d'étudier l'aménagement du territoire pour diminuer le gaz à effet de serre. Lorsqu'on vous lit dans la presse, le résumé, c'est un plaidoyer pour la réurbanisation des villes, l'urbanisation plus importante encore des villes et l'abandon de ces campagnes qui finalement coûtent cher, sont loin de tout et qui provoquent pas mal de dégâts si on considère que pour se permettre d'y habiter, il faut en tout cas avoir des moyens qui sont des moyens polluants. Je résume, parce que c'est un peu plus fin que cela, mais l'article que j'ai pu lire s'intitule d'ailleurs : « La ville coûtera moins cher que la campagne». Sur le constat, je peux, à la limite, vous suivre. Du moins, sur la réalité du phénomène, je ne peux pas vous suivre parce que je pense que si on devait, à la lettre, suivre ce type de raisonnement, oui, il n'y a plus qu'une seule chose à faire, c'est mettre la clé sous le paillasson pour les campagnes. C'est pour cela que je demande : « faut-il abandonner les campagnes?».
Je pense que, dans un équilibre, il faut évidemment pouvoir à la fois privilégier les solutions qui sont multiples. Multiples et qui peuvent également concerner les campagnes. D'où mes questions: Comment Monsieur le Ministre entend-il concrétiser son plan? On parle d'un plan, donc je suppose qu'il y a eu une étude qui a été faite, pas seulement statistique, une programmation qui est pensée et j'aimerais savoir ce qu'on a, à la fois en programmation et délais pour lesquels on estime pouvoir répondre raisonnablement au contenu de la programmation et la manière dont tout cela va être échafaudé. Monsieur le Ministre souhaite-t-il réellement provoquer la désertification des campagnes? Le message est-il édulcoré ou bien fait-il partie également de ce plan? Si oui, quel est le contenu du plan vis-à-vis des campagnes? Ne pensez-vous pas que l'urgence, c'est de militer pour que des moyens de transport publics conséquents soient mis en place et que, par conséquent, il y ait le maillage nécessaire à relier les campagnes aux centres urbains, et je dirais, au n ud de communications. C'est peut-être là qu'il y a une réelle économie à faire tout en ne désertifiant pas les campagnes. Y a-t-il vraiment une ambition de lutter entre urbain et rural ? Est-ce que c'est vraiment cela l'enjeu de demain ou bien faut-il penser que si on parle de densification d'habitats - et alors là je pourrais vous suivre - on peut en parler également pour les campagnes. En d'autres termes, les centres du village, c'est peut-être là qu'il faut justement pouvoir aménager, construire, densifier plutôt qu'en plein milieu de la campagne. Elle ne se résume pas à une brousse, elle est tellement belle que cela ne ressemble en rien à une brousse. Mais on peut comprendre que les effets sur le plan du CO2 sont dramatiques. Ne pensez-vous pas que les campagnes, les communes rurales n'ont également pas le droit de développer leurs éco quartiers, éco zonings et réseau de chaleur?

M. le Président. La réponse est à M. le Ministre Henry.

M. Henry, Ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du Territoire et de la Mobilité. Bien sûr, il ne faut pas abandonner les campagnes. Non seulement, étant donné la grande partie de la population qui y habite, mais aussi parce que cela n'aurait aucun sens. Donc, l'intérêt de votre question est de bien préciser mon propos, à ce sujet-là et c'est un vaste débat, dont nous aurons encore l'occasion de revenir dans le Parlement, mais aussi en dehors. Parmi les solutions à privilégier pour faire face aux défis climatique, énergétique et démographique, plus personne ne remet en question désormais la nécessité de densifier les centres urbains et ruraux. Vous avez vous-même donné une partie de la réponse dans votre question de ce point de vue là, disposant d'arrêts de transports en commun et de services. Les villes, les grandes certes, mais surtout les villes moyennes et petites, ainsi que les villages centres des communes rurales, sont donc autant d'espaces du territoire wallon susceptibles d'être fortement développés avec une certaine densité et la possibilité d'utiliser les transports en commun. Il n'est donc pas question de provoquer une désertification des campagnes. Ceci étant dit, les chercheurs de la CPDT ont démontré que les territoires les plus excentrés étaient vulnérables en cas d'accroissement du prix des combustibles et peu propices aux politiques de réduction des gaz à effets de serre (GES). C'est vrai pour les dépenses privées, c'est vrai aussi pour les dépenses publiques qui les accompagnent. En effet, elles combinent un parc de logements moins performant (logements plus grands, nombreuses quatre façades), des déplacements domicile-travail plus longs et un revenu médian plus faible. L'étude du thème 2.a de la CPDT sur le pic pétrolier conclut : « la vulnérabilité liée à la mobilité viendra s'ajouter à celle liée au logement pour impacter plus fortement les communes les plus rurales. L'accès aux commerces et services deviendra également plus difficile, ce qui augmentera l'isolement des villages les plus éloignés. ( ... )». « Les transports alternatifs à la voiture devront être facilités. Les technologies de L'information et de la communication permettront de diminuer cet isolement, mais ils ne peuvent pas tout résoudre: de nouvelles formules devront être mises en place pour assurer des services tels que crèches et écoles élémentaires, guichets multiservices, commerces de première nécessité, centres multisports, etc». Concernant le développement de la périphérie des villes ou de la campagne, les pistes que vous évoquez sont celles que je prône à quelques nuances près. Ces espaces peuvent être aussi densifiés, dès lors qu'ils sont bien desservis par les transports en commun et qu'on peut y trouver des commerces et des services - écoles, crèches, équipements sportifs notamment. Comme vous le proposez, des éco-quartiers, des éco-zonings devraient y être érigés. Il faut également encourager le«rabattement» des navetteurs habitant les espaces les plus excentrés vers les n uds de transport en commun, puisqu'il y a des solutions complémentaires (c'est aussi les formules de covoiturage, le vélo, etc.), qui permettent de faire le lien avec les transports en commun Il faut aussi rapprocher les services de ceuxci. Il apparaît, selon les chercheurs, que la mixité fonctionnelle constitue un levier tout aussi important que la densité en matière de réduction des distances de déplacement. Les mesures que je compte prendre pour concrétiser cette politique s'articulent autour de trois axes: faire le point sur les défis du XXIe siècle, notamment le changement climatique, le pic pétrolier, l'augmentation de la population et leur impact sur l'aménagement du territoire, c'était le travail que la CPDT a fait cette année-ci; mettre en place des outils cadre pour baliser une politique adaptée au travers notamment du SDER, c'est le travail qui va se construire dans l'année qui vient; sensibiliser le citoyen à ces questions et agir en conséquence dans les différentes décisions que je suis amené à prendre, notamment dans les permis. C'est évidemment un vaste débat, Monsieur le Président, Monsieur le Député. Nous pouvons continuer cette discussion longtemps, mais je voudrais vraiment insister sur le fait que la question de la densification des lieux proches des noyaux d'habitats est une notion prévue par cette législature et elle doit être définie encore. La question des noyaux d'habitat, de la proximité des moyens de communication ne se pose certainement pas que dans les villes, bien au contraire. L'intérêt est, par contre, de réfléchir en termes de localisation à proximité des transports structurants parce qu'il est vrai que l'étalement sans limite sur le territoire pose de grosses difficultés, tant pour les pouvoirs publics que pour les ménages, qui risquent d'y être confrontés dans quelques années en cas d'augmentation importante du prix de l'énergie.

M. le Président
. La parole est à M. Crucke.

M. Crucke (MR). Je remercie M. le Ministre pour sa réponse qui est nettement plus nuancée que le compte rendu qu'on pouvait en lire dans la presse, c'est tout l'intérêt d'un débat comme celui-ci au sein du parlement. Je dirais qu'en matière d'aménagement du territoire, et cela vaut pour les villes comme pour les campagnes, le meilleur peut côtoyer le pire. Et c'est là qu'il y a un énorme travail à faire. Quand je vois, à titre d'exemple, ce n'en est qu'un parmi tant d'autres parce que vous aurez l'occasion de découvrir certaines campagnes la semaine prochaine, vous aurez le plaisir de venir chez moi et vous verrez comment on étudie l'aménagement du territoire avec, justement, une sorte de centralisation d'habitats et de services. Mais quand je vois, parfois, qu'une ferme totalement à l'abandon, qui tombe totalement en ruines et qui se trouve à l'entrée d'un village, devrait rester dans l'état d'abandon selon l'avis du fonctionnaire délégué, alors qu'on a un privé qui est prêt à construire, sur ce même espacelà, une maison passive, avec tous les critères de la maison passive, parfois je me dis que j'hallucine. Je me demande s'il faut vraiment correspondre à un désert pour répondre à des critères comme : «non, comme c'est en zone rurale, en zone agricole, seul un fermier pourrait y construire». Je trouve qu'on doit évoluer dans notre perception des choses, parce qu'on peut, justement, dans des cas qui sont négatifs, où l'être humain a laissé les choses se dégrader, on peut corriger et parfois, cela passe par un aménagement différencié. C'est un des chantiers qu'on doit pouvoir réellement ouvrir. Je suis de moins en moins convaincu - sans devoir généraliser, tous les fonctionnaires délégués ne sont sans doute pas les mêmes - qu'on est parfois beaucoup trop strict sur ce plan-là alors que ceux qui sont à ces endroits-là seraient normalement censés devoir nous aider et nous aiguiller.

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